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toute la pensée de Raemaekers : c’est une femme de la campagne, qui pleure, abattue par la douleur, la figure posée à plat sur une table, tandis qu’une vieille paysanne, debout, cherche à la consoler et qu’un enfant s’accroche au bras de la vieille, épouvanté. C’est : « Une qui ne comprend pas les beautés de la guerre. »

Raemaekers n’est point cependant un pacifiste quand même. Il ne prêche pas que la honte soit préférable à la lutte. Il raille le président Wilson, qui réfléchit profondément et dit à l’Humanité éplorée pour la consoler : « J’écrirai, si vous avez à vous plaindre de quelque chose, j’écrirai, — oui, mais quand j’y pense, je crois que j’ai déjà écrit ! » Il a sur les neutres, en général, et leur masque d’impartialité, une image cinglante. Elle doit être dédiée à tous ceux qui prétendent, lorsque le Droit est en jeu, se tenir au-dessus de la mêlée. C’est un bourgeois gros, glabre, élégant, couvert d’un beau gilet à fleurs, surmonté d’un chapeau de cérémonie. En sa présence, un apache au front bas, à la face patibulaire, vient d’égorger une femme, pour un butin qu’il emporte, et le voici qui tient encore à la main le couteau sanguinolent. Le gros monsieur détourne son regard et délibère, à part lui, sur ce qu’il convient de faire. : « Lui dirai-je qu’il est un assassin ? » se demande-t-il, puis aussitôt : « Non, je vais le saluer poliment : c’est plus neutre. »

Tous les neutres ne raisonnent pas comme le bourgeois de Raemaekers. Sans même sortir de son pays, on trouve d’autres crayons que le sien occupés à flétrir la guerre. Ce sont principalement ceux de l’Amsterdammer : Johann Braakensiek, connu depuis ses dessins sur la guerre du Transvaal, George von Raemdonck et Joan Collette. Seulement, ils flétrissent la guerre en général plus nettement que l’auteur de la guerre. On n’aperçoit pas toujours très clairement que, sans l’agression voulue, préméditée, de l’Allemagne, cette guerre n’eût jamais eu lieu. Pourtant, ils l’ont symbolisée de façon saisissante. Tel est le dessin où Raemdonck a montré tout ce qu’a causé le meurtre de Serajevo. Un revolver est là, posé, qui a fait feu et fume encore : du petit tube d’acier sortent, enveloppées dans sa fumée, des figures et des calamités mondiales : après les têtes de l’archiduc et de sa femme unies dans la mort, l’aigle à double tête de l’Autriche-Hongrie fondant sur la Serbie suppliante, l’incendie allumé, les Alliés