Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/828

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette tapisserie magnifique que les Gros, les Gérard, les Vernet et les van der Meulen tissaient dans leurs Galeries des Batailles. Elles montrent ce que la guerre traîne avec elle, après elle » presque fatalement, réserve faite des cruautés propres à celle-ci. Des femmes à genoux, dans leurs longs voiles de deuil, à l’église, la tête appuyée sur le prie-Dieu, les yeux fermés, appesantis sous la douleur : les Mères ; ou, venant en longues théories, la main dans la main, bourgeoises et paysannes unies dans leur désespoir : les Veuves ; des multitudes, un fleuve ininterrompu d’enfans, s’écoulant sous le ciel noir, entre deux haies de croix mortuaires, ces mêmes enfans flamands que Léon Frédéric a montrés si souvent joyeux dans le soleil, devenus graves soudainement, défians, serrés les uns contre les autres, les plus grands portant les plus petits, beaucoup pleurant, allant toujours, allant on ne sait où, en demandant : « Où gisent nos pères ? » Ce sont les Orphelins.

Une femme restée seule vivante dans un village incendié : deux cadavres de vieillards fusillés étendus près d’elle, rigides ; un petit garçon, son petit, à terre, mort, les yeux ouverts. Elle lui tient la main, elle rit : elle est devenue folle : c’est la « jolie guerre nouvelle. » Des enfans encore, des écoliers de tout âge, de toutes les nations, sont rangés par terre, sans vie, déchaussés, quelques-uns encore enlacés dans l’étreinte suprême, qui les unit au moment du danger. Entre leurs files rigides, circulent les parons venus pour les reconnaître. Un père et une mère qui ont « reconnu » sanglotent ensemble, la face cachée dans leurs mains. Ce sont les Petites victimes de la « Lusitania. » Heureuses victimes ! Le dur passage est accompli. En voici qui n’y sont pas parvenus encore. Dans une salle d’hôpital, une infirmière se détourne avec désespoir pour ne pas voir, et un vieux major à lunettes, les bras croisés, regarde, impuissant, deux malades horriblement convulsés, qui se tordent, en des gestes fous, sur leurs oreillers : c’est l’Asphyxie lente qui fait son œuvre. Dans une autre chambre d’hôpital, un homme sanglote, assis près d’un lit où le drap dessine vaguement une forme humaine, et que marque un crucifix noir. Quelle fut donc cette mort ? Un châtiment ? Et de quoi ? Une fillette, debout auprès de son père, tâche de le faire parler au milieu de ses sanglots : « Maman n’avait rien fait de mal, n’est-ce pas, père ? » Une dernière planche résume, là-dessus,