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dans la fissure de l’écluse et sauva la Hollande. Raemaekers a sauvé son pays de l’inondation germanique. Être une digue, la digue de la civilisation et de la liberté, semble une tradition nationale de ce pays. Il n’en est pas qui ait lutté plus souvent, plus obstinément, plus victorieusement et contre de plus formidables Puissances que les Pays-Bas. Et chose curieuse, c’est aussi une tradition nationale que de lutter par la caricature. C’est par elle, par les planches célèbres de Romain de Hooghe, que les Hollandais combattirent et poursuivirent, dans toute l’Europe, Louis XIV. Le grand Roi ressentit toujours cruellement les blessures de ce burin vengeur. La Hollande était tellement considérée comme la patrie de la caricature politique, au XVIIIe siècle, qu’un pamphlet paru à Londres, en 1710, sous le titre : Peinture de la malice, le dit expressément : « L’estampe est originairement un talisman hollandais (légué aux anciens Bataves par un certain nécromancien et peintre chinois), doué d’une vertu surpassant de beaucoup celles du Palladium, qui les met à même non seulement de protéger leurs villes et leurs provinces, mais aussi de nuire à leurs ennemis, et de maintenir un juste équilibre parmi les Puissances leurs voisines... » L’auteur de ce pamphlet, deux cents ans à l’avance, définissait Raemaekers.

On eût pourtant fort étonné le dessinateur du Telegraaf, si on lui eût prédit, il y a quelques années, qu’il jouerait un jour, en face de Guillaume II, le rôle de Romain de Hooghe devant Louis XIV et de Gillray devant Napoléon. L’histoire, ni la tragédie ne l’attiraient spécialement. C’était un paisible paysagiste et un portraitiste. En cette qualité, il s’essayait à reproduire la ressemblance des hommes célèbres dans la politique aux Pays-Bas et, depuis quelques années, il donnait des dessins politiques au Telegraaf, lorsque la guerre survint. La froide cruauté de cette machination l’indigna, l’hypocrisie des fauteurs d’assassinat lui parut insupportable et, aussi, le « ponce-pilatisme » de certains spectateurs. Il tailla son crayon plus affilé que de coutume. Il s’en fit une arme. Les cris de douleur, de protestation, de vengeance, éclatèrent hors des frontières et les Pays-Bas eux-mêmes, dès longtemps exposés à l’infiltration germanique. On interdit la vente de ses albums, on le menaça de six ans de prison pour avoir mis la neutralité de la Hollande en danger. On l’accusa d’être payé par l’Angleterre. Une averse de calomnies et de menaces fondit sur lui. Le