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d’en faire contre eux-mêmes. Ils n’y ont pas manqué. S’ils n’insistent pas sur les horreurs de la guerre, ils sont loin de la présenter comme une chose belle en soi et souhaitable. Une suite de caricatures, assez récentes, du Wahre Jacob, de Stuttgart, est, à ce sujet, assez significative. Elle montre l’évolution qui s’est faite, dans certains esprits, au delà du Rhin. Un gros industriel allemand est d’abord ravi de ce qui se passe : « Enfin, voilà la guerre ! » dit-il. « Déjà, un bon traité pour fournitures de guerre, » continue-t-il, et, en ouvrant son coffre-fort : « Pour ma part, la guerre peut durer dix ans ! » Mais il reçoit une convocation, sa figure change : « Oh ! je suis appelé ! » Le voilà, faisant l’exercice et déjà suant à grosses gouttes, sous l’œil d’un feldwebel injurieux. « Oh ! oh ! » crie-t-il, puis coiffé du casque à pointe, le sac au des : « Ah ! ah ! » puis dans la tranchée, sous les obus : « Ah diable ! » Enfin, il fuit, devant les éclatemens, tombe à genoux, et s’écrie : « O Dieu, mon Dieu, donne-nous bientôt la paix ! »

Tel est le dernier trait des crayons satiriques d’Allemagne. C’est peut-être, aussi, le plus sincère. Si jamais l’on entreprend d’écrire l’histoire d’après les images qu’ils en ont données, c’est une étrange histoire qu’on écrira : l’Angleterre envahit la France, et saigne à blanc la Belgique ; des hordes nègres accourent en Europe pour mettre la paisible Allemagne à feu et à sang ; les Etats-Unis conspirent contre elle ; enfin, les peuples français, russe et anglais se soulèvent contre leurs gouvernemens respectifs et s’ensevelissent sous les ruines d’une Révolution. Voilà qui nous indique seulement, chez les Allemands, ce qu’est « le Désir, père de la Pensée. » Mais le chauvin du Wahre Jacob qui souhaite la paix, dès qu’il a goûté de la guerre, c’est une réalité.


II. — CHEZ LES NEUTRES

Le premier de tous les neutres dans l’ironie vengeresse et la résistance à l’oppression, c’est la Hollande, et en Hollande c’est Louis Raemaekers. L’Allemagne menaçait de tout submerger sous le flot de ses calomnies et de ses promesses : il s’est levé et, de son crayon acéré, a marqué la limite du cataclysme. Il n’est pas le seul, mais fût-il le seul, il eût suffi, comme l’enfant célèbre de Harlem qui, de son doigt, boucha