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où le Kaiser, dans son voyage en Orient, s’était déclaré l’ami des quatre cent millions de Musulmans, qui reconnaissaient, disait-il, l’autorité religieuse du calife de Constantinople, il prévoyait qu’à son appel, plus tard, la Guerre Sainte les entraînerait à sa suite et l’aiderait à réaliser le grand rêve oriental déjà éclos dans son cerveau. Ce dut lui être une de ses plus cruelles déceptions dé voir non seulement l’indifférence que le monde musulman, en général, témoigna à l’alliance des Turcs et des Allemands, mais aussi le dévouement des soldats hindous et africains à l’Angleterre et à la France [1].

Après la reprise de Tebris, les Russes, avertis, procédèrent à l’occupation lente et méthodique de la Perse, n’y consacrant que les forces indispensables. Nous verrons plus loin où ils en sont arrivés.

Les deux armées restèrent en face l’une de l’autre pendant toute l’année 1915, sans autres événemens que l’avance des Russes dans la région du lac de Van et l’occupation de Van. Les Turcs se maintenaient, au contraire, solidement dans la région d’Olty, couvrant Erzeroum. Le théâtre d’opérations d’Arménie paraissait bien secondaire, en regard des grands fronts d’Occident et de Pologne, en regard même des Dardanelles. Du côté de Bagdad, la situation restait aussi stationnaire.

A la fin de 1915, la cause des Alliés paraissait bien compromise en Orient. La trahison de la Bulgarie, l’écrasement de la Serbie, la jonction définitive des Austro-Allemands avec Constantinople, relevaient la Turquie défaillante et rendaient vain tout l’héroïsme sacrifié aux Dardanelles. Les Turcs ne parlaient rien moins que de partir, avec le concours des Allemands, à la conquête de l’Egypte !

La décision des Alliés de rester à Salonique changea la face des choses. Si tardive qu’elle eût été, elle a annihilé tout l’effort fait par les Impériaux dans la campagne balkanique de l’automne dernier, elle a réservé l’avenir. En concentrant à Salonique une puissante armée, les Alliés tiennent en suspens la victoire que les Impériaux croyaient acquise, et gardent leur liberté d’action en Orient.

  1. Il ne faudrait pas cependant négliger les sentimens germanophiles qui ont été entretenus en Egypte par le précédent Khédive, et les résultats de la propagande des agens allemands en Afrique, en particulier en Tripolitaine et au Maroc. Une défaite des Alliés en Orient pourrait avoir de graves conséquences.