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dupes et sauvages ceux qui ne le sont pas : » — voilà ce qu’il faudrait dire, tout uniment, au lieu de tant de gloses, et cette définition à la Gorenflot figurerait fort bien toute l’argumentation des professeurs de Weimar ou de Greifswald. Pourquoi ne peut-on employer des Gourkhas ou des Sikhs et peut-on employer des gaz asphyxians ? Pourquoi l’Angleterre est-elle furieusement égoïste en faisant battre pour elle des Australiens ou des Canadiens, qui sont nés d’elle, et l’Allemagne ne l’est-elle pas en versant le sang des Turcs pour qui elle n’a jamais rien fait ? Et, en ce qui nous concerne, qu’y a-t-il de moins civilisé : appeler des Sénégalais à librement combattre, ou enchaîner ses propres citoyens a des mitrailleuses ? Transformer des nègres en hommes libres, ou transformer des hommes libres en nègres ? Le peuple du « libre examen » ne supporterait guère toutes ces théories, si elles étaient, d’aventure, examinées librement.

De même, les plaisanteries des Allemands sur le recrutement volontaire. C’est une honte, à leurs yeux, que de solliciter un homme d’entrer au service, au lieu de le faire encadrer par deux gendarmes. Mais c’est l’orgueil de l’Angleterre que d’avoir vu trois millions d’hommes, sans y être forcés, accourir à son appel. Il n’est pas très sûr que l’Allemagne, elle-même, eût obtenu ce résultat. L’Angleterre a prouvé, jusqu’à l’évidence, par sa pauvreté première en hommes et en munitions, qu’elle ne tendait, ni ne s’attendait à la guerre, et, par son magistral « rétablissement, » qu’elle était capable de la faire, comme les camarades. De tout cela, elle a lieu d’être fière, et plus on lui décerne de sarcasmes, plus elle les collectionne comme des titres d’honneur. L’Allemagne n’en dit autant ni contre nous, ni contre les autres Alliés. Pourtant, elle nous fait bien, çà et là, l’honneur de quelques outrages ou l’injure de quelque compassion. Il y a un sujet qui, évidemment, n’inspire pas de réflexions très réconfortantes aux artistes de ce pays : c’est le bombardement de la cathédrale de Reims. Ils n’en tirent pas une extrême vanité. Aussi ont-ils délibérément pris le contre-pied de la vérité. Ils supposent d’une part qu’on ne l’a pas bombardée, ni aucune autre église, et d’autre part, que leurs ennemis abusent de ce respect pour combattre sans danger. Dans l’Ulk, on a vu ceci : Pallas Athéné, portant, dans une main, la cathédrale de Reims, de l’autre, son égide, protège des soldats et même des civils, français, qui tirent « à l’abri de l’Art. » Sur un