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anglaise, au moment où l’un de ces meurtriers aériens est signalé. « Attention ! Vite ! Tous les bébés dehors ! » s’écrie un policeman, et, de toutes les fenêtres, se tendent des perches, suspendant des poupons emmaillotés dans le vide, afin de les exposer, seuls, aux bombes qui ne manqueront pas de tomber. - La noirceur de l’âme anglaise éclate, dans cette image, aux yeux de l’innocente Germanie. Un dernier trait achèvera de la peindre, et c’est la Jugend qui l’a trouvé. Il faut encore le citer, parce qu’il montre à quel point on peut faire fond sur la crédulité du public allemand. « Depuis qu’il a été déclaré que les « Barbares » allemands refusaient de tirer sur les cathédrales, l’Angleterre a élaboré un joli petit plan pour la défense de ses côtes, » dit la légende. On voit, en effet, des paravens en forme de façades gothiques, dressés au bord de la mer ; sous les portails moyen-âgeux s’arrondissent des bouches de canon ; derrière les gargouilles, s’embusquent des tireurs : il n’est pas un ornement, un fleuron, une ogive, qui ne recèle une embûche. Bien mieux, les gardes-côtes cuirassés eux-mêmes ont une superstructure de clochers et de chapelles, et, dans le ciel, les aéroplanes volans prennent une allure de chapelles en déplacement aérien.

Les Anglais accusent le coup, sans sourciller, en beaux joueurs qu’ils sont [1]. Ils n’y ont pas grand mérite, car le coup ne porte guère, et ils pourraient aussi bien ramasser l’injure qu’on leur jette comme une pierre et s’en parer comme d’un joyau. Car si l’Australie et le Cap et les Indes et le Canada et la Nouvelle-Zélande, tous les pays d’outre-mer, accourent à la défense de la vieille Angleterre, qu’est-ce à dire, sinon qu’elle a su s’en faire aimer ? Et si tant d’autres peuples et de tant de couleurs, épars sur le globe, sous toutes les latitudes, se rangent du côté des Alliés, qu’en peut-on conclure, sinon que la conscience universelle se prononce contre l’Allemagne ? Ce ne sont pas des gens de « haute culture, » dira-t-elle : c’est à voir. Car il faudrait démontrer que les Bachi-Bouzouks le sont et aussi les Bulgares, et qu’on est plus près de l’idéal scientifique de l’humanité à Panagouriclité et à Kastamouni qu’à Melbourne et à Montréal... « Nous appelons civilisés les peuples qui sont nos

  1. Toutes les caricatures contre l’Angleterre signalées ici ont été reproduites dans des périodiques anglais à grand tirage ou dans des magazines américains très lus en Angleterre.