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dévorer, à belles dents, les professeurs d’Iéna ou de Tubingue. Après cela, quoi d’étonnant si, même au fond de la forêt tropicale, les orangs-outangs, les mandrills et les chimpanzés sentent comme un remords de ne pas voler au secours de la mère patrie ! « Quoi ! n’avez-vous pas de honte de ne pas aller vous battre pour l’Angleterre contre l’Allemagne ? » dit une femelle à son mâle à croupetons sur une branche d’arbre, tout en cueillant des noix de coco... Et le Simplicissimus intitule triomphalement cette dernière planche : « Les troupes anglaises d’outre-mer. »

Malgré ces honteux auxiliaires, l’Angleterre, — s’il fallait en croire les journaux de Berlin ; — est affolée. L’humoriste d’outre-Rhin ne se tient pas de joie en songeant aux blessures que lui infligent les sous-marins allemands. C’est un sujet inépuisable de gaieté pour lui que la vue du Neptune britannique, jadis « tranquille et fier du progrès de ses eaux, » béatement endormi dans la sécurité de son omnipotence, qui se sent tout à coup pincé, lardé, troué sous l’eau par une foule d’espadons, et pousse des cris de douleur : — et c’est un spectacle que la Jugend ou le Kladderadatsch s’offrent le plus qu’ils peuvent. Leurs lecteurs ont l’entendement assez ouvert par la haine pour comprendre que les espadons figurent, ici, les sous-marins qui surprennent la marine anglaise là où elle ne songeait pas à se défendre. John Bull, épouvanté, finit par grimper sur le sommet de son île, minuscule rocher, autour duquel passent et repassent, plongent et émergent des sous-marins, qui ont des gueules de requins. Cela s’appelle : Isolement splendide.

Il ne craint pas seulement pour ses jambes : il est fort effrayé de ce qui se passe au-dessus de sa tête, et les Lustige Blaetter nous montrent la foule de Trafalgar Square, prise de panique à la vue d’un Zeppelin. La fin de tout cela, c’est qu’un Tommy tombé en enfer, conduit par des démons et mordu par les molosses de Satan, sur le gril éternel, s’écrie : « Pas de Zeppelins, ici, pas de canons Krupp ! Pas de sous-marins ! Je suis au ciel !... »

L’affolement de la « perfide Albion » n’est pas causé seulement par ses désastres sur la mer, dit-on à Berlin, mais aussi par la Révolution, chez elle ou dans ses colonies. Tous les humoristes allemands ont concouru sur ce thème. Le Kladderadatsch, les Lustige Blaetter, l’Ulk, le Simplicissimus et la Muskete ont fait appel à toutes les ressources de leur symbolique : le sphinx pour l’Egypte, avec son cortège de pyramides,