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Albion and C°, avec ce titre : Le gardien de la loi internationale et ces mots : « La guerre est une affaire comme une autre. » La Muskete, enfin, se souvenant d’un roman fameux et jouant sur le nom du ministre, l’a montré tirant le rideau qui cache son propre portrait et découvre, avec horreur, que son « double » dépérit et enlaidit chaque jour. Et elle appelle cela : Le Portrait de Dorian Grey.

L’énormité de ces falsifications historiques montre assez la naïveté sans bornes du peuple qui s’en nourrit. Sans doute, il ne faut point croire à la bonne foi des historiens. Il y a des pince-sans-rire à Munich. Mais la foule n’absorberait pas indéfiniment cette nourriture, si elle la croyait frelatée. La transformation du plus pacifiste des diplomates en un vampire altéré de sang humain est opérée, sans aucun doute, de concert avec le sentiment public en Allemagne. Et nul ne s’y étonne de voir, dans le Wahre Jacob, un démon, échappé des tympans de nos vieilles églises gothiques, précipiter sir Edward Grey dans les flammes de l’Enfer, tandis qu’un autre, armé d’une pince gigantesque, murmure : « En voici un que nous allons rôtir très lentement... »

Donc, c’est l’Angleterre qui, selon les humoristes teutons, a voulu la guerre. Comment est-il possible qu’au XXe siècle une nation tout entière se décide à aller au-devant de la mort ? C’est qu’elle n’y va pas, ajoutent-ils. Elle fait la guerre avec le sang des autres. Voilà ce que veut dire l’étrange image, parue dans la Jugend, de l’araignée Albion suçant le sang de la France, après avoir sucé celui de la Belgique. L’incessant effort de la feuille munichoise, comme des berlinoises, vise donc à imprimer, dans les cerveaux allemands, cette image doublement fausse de l’Angleterre : la cruauté d’avoir déchaîné une guerre mondiale, — ce qui est démenti par son peu de préparation initiale, — et la répugnance à y prendre part, — ce que démentent suffisamment ses sacrifices constans.

Les deux sont surpassées encore, dans l’esprit des Allemands, par son incapacité militaire. Cette « nation de boutiquiers » a voulu la guerre et elle est incapable de la faire. Elle n’a pas de soldats et, pour s’en procurer, elle est obligée aux plus humilians stratagèmes. « Ne voulez-vous pas vous engager ? Les choses vont au mieux pour l’Angleterre, » dit Kitchener, selon le Simplicissimus, à un ignoble drôle qu’il rencontre au coin de Hyde Park. « Alors, vous n’avez pas besoin de moi, » dit