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mémoire des morts : c’est bien. Mais plaignons ceux qui pensent que c’est assez. Le laurier que nous posons sur une tombe se fane et se flétrit : rien de ce que nous faisons ne dure. La palme impérissable, nous n’en disposons pas. C’est à Dieu qu’il faut la demander. Nous lui avons pour nos morts adressé notre appel.

Notre prière fut respectueuse de toutes les croyances. Le culte catholique, le culte protestant, le culte israélite eurent chacun sa cérémonie. Si je retiens surtout l’une d’elles, ce n’est pas pour rompre par une préférence cette pieuse égalité, c’est que la Sainte-Chapelle où fut célébré le premier de ces trois services et le Palais de Justice sont liés par une tradition sept fois séculaire, que leurs pierres se touchent et se confondent, et que, pour entrer dans l’une des maisons, on n’a pas à sortir de l’autre. C’est une clef à tourner, une grille à pousser.

Nous l’avons éprouvé déjà en 1871. La Sainte-Chapelle remplit alors pour nous son office de guerre. Lorsque l’incendie criminel atteignit le Palais de Justice, ce fut elle qui assura le salut de nos livres. Nous nous souvenons de cet épisode tragique : le grand bâtonnier Rousse présidant au déménagement précipité de notre bibliothèque et, comme Enée portant son père Anchise (la comparaison est de lui), demandant à la chapelle de saint Louis pour nos précieux volumes un abri que les flammes ont respecté.

Depuis treize années, depuis la suppression de la Messe Rouge, la grille était restée close. Le 22 mai 1916, date qui comptera dans notre histoire, elle a glissé sur ses gonds. Il a été permis à saint Louis de nous recevoir en sa chapelle. Rien qu’à franchir ce seuil, après un si long temps et pour un tel objet, les cœurs battaient.

Décrire et raconter ? je n’ose. La Sainte-Chapelle est le chef-d’œuvre parfait qui défie la description. Décrire, c’est essayer d’embellir et de décorer. On n’embellit pas la beauté pure ; on ne décore pas la Sainte-Chapelle. On l’a bien ainsi compris et à l’occasion de cette solennité on s’est abstenu de couper par aucun ornement les lignes du monument, de compromettre par aucune tenture l’harmonie des couleurs et des contours. Un faisceau discret de drapeaux derrière l’autel ; c’était suffisant. Pour le reste, on s’en est remis à un décorateur qui fût digne de l’architecte. A Pierre de Montereau nous avons offert le soleil