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que si le crime dépasse les prévisions, si les passions s’y mêlent, si le mobile est discutable, s’il suscite l’indignation des uns ou la pitié des autres. Elle tombe dans le mépris, l’indifférence et l’oubli, si elle n’inspire que le dégoût.

Or aucun de ces deux procès ne peut étonner qui veut bien réfléchir. Il fallait prévoir que la guerre n’exercerait pas du jour au lendemain son action purificatrice. Quand le favoritisme et la camaraderie ont pénétré dans les mœurs, au point de constituer le régime normal, il n’est pas de tourmente capable d’en amener la disparition universelle. Il était inévitable qu’il se rencontrât des continuateurs du système pour tenter de s’attribuer, malgré la guerre et en vue de la guerre, des fonctions, des honneurs et de l’argent. Ils ont commis une double erreur de temps et d’adaptation. Ils auraient été, il y a deux ans, assurés à peu près de l’impunité et couverts par leurs camarades et leurs protecteurs. Aujourd’hui ils échouent sur les bancs du Conseil de guerre.

Ils y sont une quarantaine dans cette affaire des réformes frauduleuses. Piteuse exhibition. Rebuts et déchets d’humanité. Le troupeau des exploités parqué autour des exploiteurs.

Les uns, pâlots, résignés, presque heureux. Que risquent-ils ? Les foudres du commissaire du gouvernement ? ils les préfèrent aux marmites. Une condamnation ? elle les met à l’abri. Pourvu qu’elle soit assez longue, c’est autant de pris sur la tranchée. Un avocat a eu au cours des débats l’idée de proposer au Conseil de guerre de remettre l’affaire et d’envoyer au front tous les accusés. Un frisson a secoué les pauvres hères. Quelle perspective ! Ils se seraient rendus à la première attaque ; mais alors, c’était le camp de captivité en Allemagne, au lieu de la douce et accueillante prison de France. Ils se sont remis dès qu’ils ont compris que c’était un effet d’audience, sans conséquences possibles, et destiné aux yeux des naïfs à les maquiller en héros. L’alerte n’en fut pas moins vive. Elle est passée. Ils n’iront pas au feu, et cela ne leur coûtera rien, et il ne faut pas le regretter. Qu’aurait-on fait de ces haillons et de ces loques au Mort-Homme ou à Douaumont ?

Les autres, les profiteurs, sans panache et sans allure. Bandits d’antichambre, de couloirs et de bureaux : le bandit de grande route a plus de couleur. Quoi ! cet escroc auquel la presse a fait une renommée, ce récidiviste qui avait le libre