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qui doivent recevoir solution immédiate. Exemple : les mises sous séquestre. La maison menacée dépêche à un avocat celui de ses représentans qui a le moins d’accent allemand, pour expliquer l’inconcevable méprise et comment jamais à Paris n’exista commerce plus ardemment français que celui de ces braves gens, victimes d’une basse et calomnieuse dénonciation. L’avocat éconduit le visiteur malgré ses protestations, appuyées de l’exhibition d’un portefeuille agréablement gonflé, et lui conseille de présenter lui-même ses explications au procureur de la République et au président du Tribunal. Le naturalisé court au Palais de Justice pour tenter de sauver sa firme. Il y retrouvera en nombre ses compatriotes.

Le Palais va reprendre ainsi une apparente animation. Les salles d’audience seront un peu moins silencieuses ; le cabinet du président du Tribunal sera assiégé. C’est là que tout aboutit ; c’est là que va s’organiser l’administration des milliers de maisons allemandes restées audacieusement ouvertes en pleine guerre au cœur de Paris, c’est là que sont prises les mesures urgentes d’humanité en faveur de détresses qui appellent à l’aide.

L’audience des référés est dans la fièvre. La loi ne permet au juge des référés que de prendre des mesures provisoires qui n’engagent en rien le fond du litige. Ce sera pour le président du Tribunal un titre à la reconnaissance publique d’avoir à maintes reprises franchi délibérément les limites de sa compétence, d’avoir volontairement oublié les dispositions de la loi pour assurer par exemple à une femme et à des enfans abandonnés les ressources qu’un homme indigne leur refusait, se croyant abrité par sa situation de mobilisé. M. Monier aura été l’homme qui convenait à sa fonction et à l’état de guerre. Dans le labyrinthe des lois et des décrets, si compliqué par les textes nouveaux, il a pris un bon guide : il a suivi son cœur.

Une de ses ordonnances a fait récemment quelque bruit C’est l’ordonnance qui interdit aux sujets Allemands l’accès du prétoire. La Cour de Paris avait consacré le principe contraire, motivant son arrêt par des considérations où le raisonnement juridique s’affinait jusqu’à la subtilité. M. Monier ne s’embarrasse pas de ces finesses. Il estime qu’il y a une jurisprudence de guerre et, à tour de bras, il la forge, faisant sonner le marteau et jaillir sous ses coups les étincelles dont