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un emploi. Nous les accueillons, nous les autorisons à plaider. Mais à quoi bon ? On ne plaide pas. Le bâtonnier avise. Dans les administrations publiques ou privées, des vides se sont produits, des emplois peuvent être trouvés. Il s’en trouve. Avocats de Belgique, avocats du Nord, peu à peu se casent et s’emploient. Il a fallu de la patience et du temps. Il a fallu faciliter l’attente ; avec la même discrétion, le nécessaire a été fait. Nous allions ainsi droit à la faillite. Nous y allions, le cœur léger. Donner d’abord, compter ensuite. Telle fut notre règle. C’est le renversement des principes ; mais avant de penser au lendemain, il faut être sûr qu’on pourra terminer la journée. La crainte du déficit est sagesse en temps de paix ; c’est une désertion en temps de guerre. Puis, même en comptabilité, il y a des miracles. Et le miracle s’est produit.

Le plateau des recettes s’est chargé de sommes imprévues. Libéralités anonymes. Quelle en était l’origine ? Je n’aurais pas le droit de le dire, si je le savais. Il est permis de supposer que les donateurs appartiennent au barreau et que les plus fortunés ont voulu contribuer à faire rentrer la sérénité dans l’âme du trésorier. Nous aussi donc, nous avons tenu et nous tiendrons, sans espérer toutefois que cette expérience victorieuse arrête le cours des traditionnelles et faciles plaisanteries que les faiseurs de bons mots continueront d’aiguiser contre la pseudo-confraternité des avocats.


Lorsqu’en octobre 1914 il avait clé décidé d’un accord à peu près unanime que la guerre serait la trêve des plaideurs, personne n’en prévoyait la durée. C’était au plus la perspective d’une année perdue. Mais les mois s’écoulent. Les alternatives de succès et de revers se compensent, sans que paraisse se rapprocher la décision. La patience des plaideurs se lasse. Quelques-uns reparaissent. On les reçoit comme d’anciennes connaissances depuis longtemps perdues de vue. La mémoire fait effort pour ressaisir le fil embrouillé de leur différend. Le dossier se retrouve avec quelque peine : la poussière reste aux doigts qui le touchent. On interroge. Vraiment ce divorce ne peut-il pas attendre encore ? Le client donne ses raisons : il voudrait en finir et avoir audience.

Puis voici des difficultés qui dérivent de l’état de guerre et