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occupations pressantes qui ne laissent pas le loisir d’envoyer tous les semestres un mandat à la caisse de l’Ordre. Il faut bien aussi reconnaître que le prêt et la solde ont, pour qui les touche, de plus utiles emplois. Donc peu ou pas de recettes.

Mais la source des dépenses a commencé à couler avec un débit chaque jour accru. Dépenses nécessaires, dépenses sacrées, qui ne comportaient ni hésitation, ni recul.

C’est que, si l’Ordre n’est pas riche, l’avocat ne l’est pas davantage. Sur une douzaine de noms que des circonstances heureuses ont mis en vedette et désignés à la faveur de la clientèle et que la légende pare d’une auréole d’or, on juge deux mille avocats. On ignore ce qui se dépense de travail, de science du droit et de talent pour maintenir dans cet ensemble la dignité d’une vie médiocre et serrée. Survient la guerre. Les uns partent, laissant derrière eux femmes et enfans. Les autres restent : mais leur clientèle est dispersée et ne se renouvelle pas. Le carnet d’honoraires demeure fermé. La guerre se prolonge, les réserves s’épuisent. C’est l’embarras, puis la gêne qu’on n’avoue pas, qu’il faut s’ingénier à découvrir. Par de bienfaisantes et amicales indiscrétions, le trésorier est informé. Il va au-devant de l’infortune signalée ; il prend la main qui ne se serait pas spontanément tendue ; il éprouve à l’ouvrir une résistance que doucement il violente pour y glisser l’obole confraternelle. Personne n’en saura rien, la dignité est sauve, et un peu de chaleur rentre au logis visité. Si la façon de donner vaut par le tact et la discrétion du donateur, l’Ordre est assuré que sa manière est bonne, puisque son trésorier est M. Busson-Billault.

Le barreau de Paris ne pouvait pas limiter son assistance à sa propre famille. L’occupation ennemie a chassé devant elle les populations de la Belgique et du Nord de la France. Les exilés sont refoulés vers Paris. Les grands barreaux belges sont dispersés. Leurs avocats ont pris des résolutions différentes. Les uns sont restés pour défendre contre l’envahisseur, au risque de l’emprisonnement et de la vie, les derniers vestiges des libertés confisquées ; et l’on sait comment ils s’en sont acquittés, avec quelle indomptable fierté un Theodor a bravé un von Bissing qui n’a trouvé qu’une forteresse allemande pour étouffer cette voix importune. Les autres ont suivi en France leur gouvernement. Ils cherchent auprès de nous un refuge, une occupation,