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dont on doit respecter et protéger le cabinet pendant qu’il expose sa vie pour le salut commun. Tout concourt donc à faire le vide autour de la barre. Les audiences ne se tiendront que pour la forme ; elles se fermeront quelques minutes après avoir été ouvertes ; et il en sera ainsi pendant de longs mois.

Le Palais sera-t-il pour cela désert ? Le cabinet de l’avocat sera-t-il sans visiteurs ? Non pas. La guerre a chassé une clientèle : elle en amène une autre, si différente et si nombreuse qu’il faudra, pour la recevoir et la satisfaire, créer toute une organisation et faire appel à toutes les bonnes volontés !

C’est qu’on a dû, dès la déclaration de guerre, pour prévenir des paniques et pourvoir aux plus urgens besoins, prendre une série de mesures qui, sous forme de lois, de décrets, d’arrêtés et de circulaires, ont réglé provisoirement et en vue de la guerre les plus graves questions : baux à loyer et à ferme, assurances, prorogation des échéances, limitation des retraits de fonds dans les banques, allocations et secours de chômage, réquisitions, précautions contre les sujets des Puissances ennemies, etc. Le temps de la réflexion manquait, tant les événemens s’étaient précipités, tant avait été brusque l’agression de ceux qui se défendent aujourd’hui d’avoir voulu et préparé la guerre. Dans la crainte d’un oubli, on multiplia les textes.

Je ne sais si on pouvait faire mieux, je suis certain qu’on ne pouvait faire plus. Les dispositions se succédaient, se répétant indéfiniment, se contredisant, s’enchevêtrant, arrivant en quelques jours à dépasser en volume le Code civil, en quelques semaines les cinq Codes réunis. « Nul n’est censé ignorer la loi, » a proclamé, en un jour d’ironie, le législateur satisfait. Personne n’était plus capable désormais de la connaître. Le flot montait, le mascaret s’avançait, menaçant de tout submerger. Comme des naufragés qui se précipitent vers les canots de sauvetage, les malheureux Parisiens prirent en formations serrées le chemin du Palais de Justice, dans l’espoir d’y obtenir les éclaircissemens nécessaires.

Un service de consultations gratuites a été, il y a une quinzaine d’années, institué par les soins du bâtonnier Pouillet. Il fonctionnait deux fois par semaine. Il suffisait d’inscrire son nom sur un registre pour être convoqué à l’un de ces deux jours devant un bureau, composé de trois avocats de bonne volonté, qui entendait les explications et fournissait les lumières sollicitées.