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Discours et allocutions qu’inspire l’esprit de guerre. Le premier président et le procureur général ont, sans emphase ni longueur, prononcé les paroles attendues d’hommage aux morts, de salut à nos troupes, de confiance en la victoire. Et l’audience solennelle est levée : elle a été ce qu’il fallait qu’elle fût.


Va-t-elle donner le signal d’une reprise normale des travaux judiciaires ? Personne ne le croit. C’est impossible et pour beaucoup de raisons.

Une affaire de quelque importance ne peut venir à la barre qu’après un travail de préparation à peine soupçonné du public et dont aucun avocat ne se sent en ce moment capable. Où trouverait-on les longues heures de méditation et de recueillement indispensables au classement d’un dossier, aux recherches de législation et de jurisprudence, à la composition d’une plaidoirie ? Il faudrait, pour y réussir, un empire sur soi-même qu’on se reprocherait comme un témoignage d’indifférence. L’esprit est assez libre pour un avis, pour un conseil : il ne se prêterait pas à l’effort prolongé, qui serait dix fois en un jour coupé par les nouvelles militaires, l’arrivée d’une lettre du front, la visite d’un blessé, la séance d’une œuvre de guerre, la révélation d’une infortune à secourir.

La sélection s’est d’ailleurs opérée spontanément et par le fait des plaideurs. La vie nationale a été brusquement interrompue par la guerre. Banques, industrie, commerce, tout s’est arrêté. Comment les conflits d’intérêts naitraient-ils de l’inactivité générale ? Comment aurait-on à rechercher l’interprétation d’un contrat, quand il ne s’en passe plus ou que les marchés antérieurs à la guerre ont cessé de recevoir exécution ? Comment discuter un différend sur une liquidation de succession, quand il est impossible d’opérer un partage, quand toute base d’évaluation manque, quand les valeurs mobilières ne sont plus cotées, quand les immeubles sont sans revenus ? Les décrets, en interdisant avec raison d’engager ou de suivre aucune instance contre un mobilisé, en prescrivant la suspension de tous les délais, ont imposé ou facilité l’arrêt des procédures. Puis, si ce n’est pas le justiciable, c’est son avocat qui est mobilisé : son avocat qui avait étudié et connaissait l’affaire et