Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/790

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur les branches couchées et taillées en pointe, pendant qu’abrités derrière les cloisons de sapin, nos fantassins décimeraient l’assaillant. Tout ce monde enfin grave, recueilli, confiant, prêt à l’épreuve ou refusant d’y croire, un Paris plus beau que je ne le vis jamais. Après dix jours d’incertitude, Paris comprit que l’étreinte était brisée et qu’il était définitivement sauvé.

A la fin de septembre, nous étions avisés qu’à la date traditionnelle du 2 octobre, la rentrée judiciaire aurait lieu suivant le rite accoutumé.

C’était autrefois, avant la suppression de la messe du Saint-Esprit, dite Messe rouge, une très imposante solennité. Quand se groupaient les compagnies judiciaires dans le cadre incomparable de la Sainte-Chapelle, quand s’avançait vers l’autel le cortège de l’Archevêque de Paris et que se déployait dans sa majesté la pourpre cardinalice, quand montaient entre les dentelles de pierre les chants liturgiques, c’était, pour ceux mêmes qui demeuraient indifférens à l’appel adressé par la justice humaine à la justice divine, d’une souveraine beauté. La laïcisation exigeait, paraît-il, cette suppression. C’est dommage.

Surtout depuis la guerre. Quand nous avons vu s’allonger la liste de nos morts, une pensée est venue. Ne serait-il pas possible de rouvrir un jour ces portes closes, dont l’accès n’était plus permis depuis des années qu’aux touristes autorisés, et de célébrer là un service à la mémoire des avocats tombés au champ d’honneur ? Ne serait-ce pas le lieu, le seul ? On hésitait à le demander, parce qu’on craignait de ne pas l’obtenir. Ce fut obtenu. Je dirai ce qu’a été en 1916, non pas la Messe rouge, mais la Messe tricolore.

Par d’autres côtés, la rentrée judiciaire de 1914 échappait à l’habituelle banalité. Et d’abord, qui s’y trouverait ? A défaut des jeunes qui étaient aux armées, les anciens auraient-ils répondu à l’appel ? Etaient-ils rentrés à Paris ? Aucun devoir impérieux ne semblait les y rappeler. L’audience solennelle ne serait sans doute qu’une cérémonie sans lendemain. Les avocats ne pensaient pas plus à plaider que les magistrats à juger : il ne s’agissait donc pour eux que d’un acte de présence. Et pourtant, on se disait qu’il serait de bon exemple et de bonne tenue d’être là et d’y être en nombre. Y sera-t-on ? C’est la question qu’on se pose en arrivant au Palais.