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charge et d’avoir, de pied et de cœur fermes, associé l’Ordre des avocats à la destinée de Paris.

C’est donc dans son cabinet que, à l’heure où j’arrive, on discute les dernières informations recueillies et qu’on échange des prévisions. De quart d’heure en quart d’heure, la porte s’ouvre pour un nouvel arrivant qui apporte un nouveau renseignement. Car les agens de liaison n’ont en aucun temps manqué entre le barreau, le Parlement, le Gouvernement. L’ennemi avance, mal contenu par notre armée en retraite. On a vu des uhlans à Gonesse. Le départ du Ministère et du Parlement est imminent : ce sera sans doute pour la nuit prochaine.

Je risque une question : « Paris ne court aucun danger, n’est-ce pas ? » Silence. J’insiste : « Mais le camp retranché ? » Cette fois, on sourit, et je lis sur les visages l’apitoiement provoqué par mon innocente candeur.

J’étais désormais sans illusions.


Plusieurs fois, au cours de septembre, je renouvelai ma visite. Je retrouvais chaque fois les mêmes visages amis. Les entretiens suivaient dans leur courbe les événemens. Sans nous l’avouer en clair langage, nous attendions l’occupation. C’était même cette pensée qui nous ramenait au cabinet du bâtonnier, pour nous y sentir les coudes. Nous n’avons pas cru, pour cela, être des héros. Nous participions avec simplicité à la bonne tenue de la population parisienne. La rue nous donnait un exemple facile à suivre. La curiosité y dominait l’émotion, les spectacles ne manquaient pas ; ensemble nous allions voir.

Les voies grandes et petites, vides de toutes voitures à perte de vue. La visite quotidienne des Taubes planant avec une insolente sécurité au-dessus de la ville et faisant miroiter complaisamment leurs grandes ailes dans le ciel sans nuages. Les boulevards s’animant à quatre heures d’une foule grouillante. Les kiosques assiégés dans l’attente des journaux du soir. Les attroupemens aux portes de Paris pour y voir les travaux de défense. Les enfans émerveillés devant les arbres abattus, les barrières en planches et les fossés. Les plus grands expliquant aux plus petits comment les chevaux des uhlans ne manqueraient pas ou de rouler dans le fossé ou de s’embrocher