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peuvent juger « sur le siège. » La lassitude gagne les plaideurs eux-mêmes. Et quand, le 31 juillet, on pousse le dernier verrou de la dernière audience, l’opération est silencieuse et passe inaperçue. La Justice est endormie pour deux mois ; quelques gardes demeurent avec mission d’écarter de son sommeil tous bruits importuns...

Il en fut autrement au mois de juillet 1914. Jamais fin d’année ne fut plus tumultueuse. Un procès criminel, dont je me refuse le droit de rien dire, en fut cause. Dix jours de suite, les passions surchauffées allumèrent une série d’incendies, provoquèrent de bruyantes explosions. Le rideau se baissa sur une scène d’émeute. Il s’en fallut de peu qu’on n’en vint aux mains. La salle d’audience s’était vidée le dernier soir avec la violence d’un bassin de retenue dont on ouvre les écluses, et le flot des vociférations s’était répandu dans les galeries obscures. C’est en claquant à se briser que se fermèrent, en cette nuit de juillet, les portes du Palais de Justice. Ce fut dépourvu de majesté : ce fut d’une tristesse profonde.

Déjà, lors des dernières audiences, les rumeurs alarmantes venues de la frontière avaient contribué à irriter les nerfs, à susciter les inquiétudes. Si vraiment l’orage éclatait, serait-ce donc sur une France en proie aux déchiremens intérieurs et qui venait de donner dans le raccourci d’une salle d’audience le spectacle de ses divisions ? Quelle résistance pourrait-elle offrir ? A quelle discipline se pourrait-elle plier ? Mais à la guerre on ne voulait pas croire, on ne croyait pas. Alors que tout semblait compromis, on espérait encore. Le jeudi soir, il semblait que les dés fussent jetés. Le vendredi matin, un téléphone informé m’avisait que tout s’était arrangé dans la nuit. On pouvait quitter Paris : je partais pour la campagne... Jamais encore je n’avais salué l’approche des vacances d’un tel soupir de soulagement. C’est que jamais je n’avais éprouvé tel besoin de substituer au spectacle des passions humaines celui d’un champ de blé que dore le soleil, d’un bois qui chante ou d’un ruisseau qui joue sur les cailloux... Cela devait être court.

Le lendemain même, à cinq heures du soir, l’affiche annonçant la mobilisation m’apprenait que les vacances étaient terminées, j’entends le repos de l’esprit et la trêve des soucis. Je ne devais cependant revoir le Palais de Justice qu’un mois plus tard.