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sera-t-elle utile et permettra-t-elle à la province d’arriver à temps ? Nous aidera-t-elle à conclure une bonne paix, car finalement c’est là qu’il faut en revenir. Malheureusement, je crains que nous ne devions surtout compter sur notre énergie, pour obtenir cette paix honorable, but de nos espérances. L’idée des cessions territoriales a fait malheureusement un peu son chemin en Europe, et ici comme ailleurs. Le chancelier vous en avait déjà touché quelque chose. Il m’en a aussi parlé. Je lui ai rappelé aussitôt qu’il m’avait autorisé, dans un télégramme rédigé en quelque sorte sous ses yeux, à faire savoir à M. Jules Favre avant l’investissement de Paris que « le désir de la Russie de voir des cessions territoriales épargnées à la France n’était pas ignoré à Berlin. » Il m’a dit qu’il se rappelait ces paroles, mais que la destruction de toutes nos forces militaires régulières ne lui permettait pas, à moins d’un retour de fortune, de nous laisser concevoir des espérances trop grandes ; que toutes les Puissances, après des guerres malheureuses, avaient dû faire des sacrifices, etc., etc. Je lui ai répondu, comme de juste, tout ce qu’il y avait à dire à cet égard. J’ai ajouté un argument que m’avait donné M. de Rudberg, c’est que l’Alsace, — car, au fond, c’est d’elle seulement, je crois, qu’il s’agit, ici du moins, — patriotique comme on la savait, était, de plus, de tendance républicaine des plus accentuées, et qu’au fond elle causerait les plus grands embarras à une Puissance monarchique et en partie féodale comme la Prusse. Le chancelier ne l’a pas contesté. Mais, au fond, je crains qu’à moins de grands succès de notre part, l’Empereur n’ait admis, vis-à-vis du roi de Prusse, la nécessité de quelques concessions. Ceci, du reste, n’est pas une certitude, ce n’est qu’une présomption de ma part et j’espère toujours que la Russie changera d’attitude sous quelque bonne inspiration de la dernière heure, car vous connaissez la mobilité du caractère slave et combien on peut dire avec vérité, quand on a des rapports avec eux :


Tel qui rit vendredi dimanche pleurera.


« Malheureusement, cette bonne inspiration sera surtout due à nos succès si nous en avons ; c’est triste à dire, mais j’aime trop la vérité pour chercher à me la dissimuler à moi-même ou à mon gouvernement...-

« J. DE GABRIAC. »