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mieux à faire que de lire les lettres de vos amis et je me suis abstenu. Aujourd’hui, pourtant, je lis dans les journaux que vous êtes au moment d’aller à Paris traiter d’un armistice et, si cela est vrai, je ne veux pas vous laisser quitter Tours sans vous dire avec quel intérêt, comme patriote et comme ami, je vous ai suivi pendant votre grand voyage et combien je désire que vous puissiez couronner votre vie en rendant à la France le plus signalé des services. Tout le monde ici aspire à la paix, non certes à une paix honteuse et qui rendrait bientôt une nouvelle guerre nécessaire ; mais, malgré les perfidies de la Gazette et les bêtises du Siècle, on a confiance en vous et dans le gouvernement. Quant à nos moyens de défense, vous êtes à même de les connaître bien plus que nous dans notre isolement, et je n’ai rien à vous dire là-dessus, si ce n’est qu’il y a malheureusement peu de fond à faire sur l’énergie des gardes nationales. Mais vous devez, plus encore que Jaubert et Rémusat, éprouver une satisfaction patriotique en pensant que l’admirable résistance de Paris vous est due et que vous avez élevé de votre main notre dernier rempart. Paris, disait-on à la fin d’août, ne peut pas tenir quinze jours. Paris tient depuis cinq semaines et veut tenir encore. Mais il est bien clair qu’il ne peut pas tenir toujours et que, si une armée extérieure ne vient pas à son aide, Paris devra succomber. C’est à vous à savoir s’il est vrai, comme on nous le dit, que cette armée se réorganise et qu’elle est en état d’agir.

« Peut-être aurais-je fait le voyage de Tours pour vous serrer la main si je n’étais cloué ici par la stupidité de nos paysans, qui s’obstinent à croire que ce sont les ennemis de l’Empereur qui, désespérant de le renverser par eux-mêmes, ont appelé les Prussiens à leur aide et qui, aujourd’hui encore, leur portent de l’argent et des fusils. Ajoutez que les démocrates de la Charité-sur-Loire ne sont guère moins absurdes et qu’ils signalent comme amis des Prussiens ceux qui habitent des châteaux. Ce qui donne à toutes ces rumeurs plus d’importance, c’est que les Prussiens sont dans la vallée de la Loire et qu’en peu de temps ils pourraient remonter jusqu’à nous.

« Adieu, mon cher ami, nous augurions bien mal de l’Empire, vous et moi, et je n’ai jamais oublié le mot que vous me disiez à Trouville, il y a quatre ans. Mais l’Empire a dépassé nos prévisions, tout en les justifiant. Il ne faut pourtant pas