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M. Mignet à M. Thiers.


Paris, 26 octobre 1870.

« Mon cher ami,

« Te voilà arrivé à Tours. C’est fort heureux si tu n’es pas trop fatigué de ce long et patriotique voyage. Ta présence et tes conseils seront très utiles à l’organisation et à l’emploi des armées qu’on lève pour la défense de la France envahie sur tant de points, et l’assistance de Paris, jusqu’à présent plus gêné que menacé par les Prussiens. Paris, qui te doit ses fortifications, et auquel ta prévoyante vigilance a fait procurer les subsistances nécessaires à deux millions d’habitans pendant plusieurs mois de siège, est dans un état formidable de défense. On peut le considérer comme imprenable de vive force. Tous ses abords sont inaccessibles, et les défenses ont été poussées presque partout et sont maintenues bien au delà des forts détachés. Depuis ton départ, les quatre-vingts ou quatre-vingt-dix mille gardes mobiles ont été constamment exercés aux pratiques et aux mouvemens militaires, sont devenus des soldats et se sont aguerris déjà dans quelques rencontres, où ils se sont montrés aussi solides que résolus. La Garde nationale sédentaire est elle-même comme une armée de 250 000 hommes : elle a appris le maniement des armes, fait l’exercice avec beaucoup de dextérité et d’ensemble sur les places et dans les rues de Paris, transformé en immense ville de guerre, et va régulièrement aux remparts, qu’elle défendrait sans broncher. Après la délivrance, elle sera armée et disposée comme elle est, d’une grande ressource contre le parti anarchiste et socialiste, qui est, dans le moment, abattu, et dont les chefs ont perdu le commandement des bataillons à la tête desquels ils avaient été placés. Quant à la troupe régulière, qui s’élève à près de 60 000 hommes, sans compter les marins et les soldats qui sont dans les forts détachés, elle est sortie de son découragement, a repris son entrain et se comportera bien devant l’ennemi. Elle l’a déjà montré. Il faudra seulement qu’elle soit habilement conduite lorsqu’on fera, pour rompre les lignes des Prussiens, un grand effort dans lequel l’artillerie, qu’on augmente beaucoup, jouera sans doute le premier rôle.

« Jusqu’ici, les Prussiens n’ont rien tenté contre Paris., Ils