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flatter et d’ailleurs, je le répète, la France est plus malade aujourd’hui que Paris.

« Il n’y a que vous, cher Monsieur Thiers, qui puissiez faire entendre au pays et à ceux qui nous gouvernent cette dure vérité. Vous venez d’essayer, aux dépens de votre repos et de votre santé, d’épargner à la France et à la République naissante la dernière conséquence des fautes de l’Empire. Je crains fort que vous n’y ayez pas réussi. Il s’agit maintenant de sauver la République elle-même, si c’est possible, et en tout cas la France des conséquences plus graves encore qu’entraînerait la persévérance, au delà des bornes de l’honneur et de la raison, d’une lutte sans espoir...

« Croyez à tout mon dévouement.

« BROGLIE. »


Au cours de son voyage diplomatique, M. Thiers avait prié les chargés d’affaires à Londres, M. Tissot, et à Saint-Pétersbourg, M. de Gabriac, de lui écrire pour le renseigner sur les sentimens des ministres étrangers auprès desquels ils étaient accrédités, — en dehors du délégué de Jules Favre (demeuré à Paris) au gouvernement de Tours, M. de Chaudordy. — Par les lettres de M. Tissot qui suivront et celle de M. de Gabriac, donnée plus loin, on verra à quel point l’Angleterre et la Russie étaient décidées alors à conserver une neutralité dont les événemens d’aujourd’hui révèlent l’imprudence. On relèvera cependant dans ces lettres, de la part d’hommes d’Etat anglais, de claires prévisions d’un avenir que nous voyons se réaliser sous nos yeux.


M. Tissot, chargé d’affaires de France à Londres, à M. Thiers.


Londres, 14 octobre 1870.

« Monsieur,

« Les journaux annonçant votre prochaine arrivée à Tours, j’ai l’honneur de vous envoyer, sous le couvert du comte de Chaudordy, la seule lettre qui me soit parvenue pour vous après votre départ.

« La situation à Londres est à. peu près telle que vous l’avez laissée. Le gouvernement anglais continue à se renfermer dans son parti pris d’abstention et persiste à n’intervenir que lorsqu’il lui sera prouvé que sa médiation aura quelque chance de succès. L’opinion publique nous est de plus en plus favorable, et de nombreux meetings se sont organisés ou s’organisent dans tout le Royaume-Uni pour affirmer les sympathies de l’Angleterre