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avancés, protégé de plus par sa vaste et formidable enceinte, tiendra avec vigueur et constance. La revue de la Garde nationale et de la Garde mobile passée hier par le général Trochu, de la place de la Bastille aux Champs-Elysées, a été d’un effet grand et rassurant. L’esprit de cette multitude armée était excellent et son attitude ferme.

« Les vœux comme les assentimens continuent à te suivre dans ta mission patriotique. Puisse-t-elle réussir pour l’honneur et l’intérêt des grandes Puissances de l’Europe, non moins que pour le soulagement et l’intégrité de la France livrée à une invasion qui reste maintenant sans motif fondé de la part d’une Puissance aujourd’hui uniquement conquérante. L’Angleterre, la Russie et l’Autriche ont un intérêt égal à s’opposer à la dévastation, à la ruine, à l’amoindrissement territorial de la France. Le maintien de l’équilibre européen leur importe aussi à un degré égal. L’unité de l’Allemagne sous la Prusse, devenue certaine de fait par la guerre et qui s’accomplira de droit après la paix, rendra l’orgueilleuse et belliqueuse Prusse prépondérante sur le continent. Si on la laissait prétendre à des annexions aux dépens de la France, elle serait, tôt ou tard, et lorsqu’une occasion favorable s’en présenterait, disposée à réunir au futur et inévitable empire germanique les Allemands des provinces autrichiennes et les Allemands des provinces russes de la Baltique. Souffrir qu’elle se montre ambitieuse contre la France, c’est s’exposer à ce qu’elle le soit un jour contre l’Autriche et contre la Russie. Si on ne l’empêche pas d’être envahissante aujourd’hui, on la rendra dangereuse pour tout le monde dans un immanquable avenir.

« Adieu, mon cher ami, je te souhaite santé dans ce rude voyage et succès dans cette tâche fort grande aussi européenne que française. Bien affectueusement tout à toi.

« MIGNET. »


De retour de Londres, où, hélas ! ses efforts avaient échoué, M. Thiers repartit le 20 septembre pour Vienne et Saint-Pétersbourg. Il devait revenir par Florence et rentrer à Tours, siège de la délégation de la Défense nationale, le 21 octobre. Le duc de Broglie lui écrit pour lui retracer l’état des affaires en France et lui dire que seul il peut sauver le pays. Autant M. Mignet était confiant, autant le duc de Broglie, troublé et inquiet, charge de sombres couleurs un tableau dont heureusement les pronostics pessimistes ne se sont pas tous réalisés.