Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/768

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Convention envoyaient les honnêtes gens à la guillotine, par faiblesse. Pour moi, je ne les ai pas voulu imiter et j’ai fait ce que vous savez.

« Ce que je dis est la pure vérité. Et maintenant, Dieu sait ce qui adviendra ! Le ministre de la Guerre dit qu’il est prêt. J’ai peur qu’en étant un aimable et brave homme, il soit prodigieusement léger ! Dieu veuille que l’entrain de l’armée supplée à l’insuffisance des préparatifs ! Pour moi, vous n’en doutez pas, je désire ardemment la victoire ; mais je sais bien ce qui arrivera : victorieux, nous retomberons sous le gouvernement personnel, infatué et ressuscité en entier, ou, si nous sommes vaincus, nous verrons la France terriblement traitée par l’étranger ; mais mieux vaut la victoire, cent fois mieux !...

« A. THIERS. »


Après Sedan et la proclamation de la République, Jules Favre, nommé ministre des Affaires étrangères, avait rédigé le 6 septembre sa célèbre circulaire où, rappelant que le roi de Prusse avait déclaré faire la guerre à Napoléon III et non à la France, il ajoutait : « Veut-il continuer cette guerre impie ? Nous ne céderons ni un pouce de notre territoire, ni une pierre de nos forteresses ! Notre intérêt est celui de l’Europe tout entière ! » Il supplia M. Thiers de se rendre dans les différentes capitales de l’Europe afin de plaider la cause de la France et de décider les gouvernemens étrangers à intervenir. M. Thiers partit pour Londres le 12 septembre. M. Mignet lui écrit afin de le tenir au courant des événemens. On va voir avec quelle netteté l’éminent historien prévoyait les terribles dangers qu’entraînerait pour l’Europe la victoire allemande.


M. Mignet à M. Thiers.


Paris, 14 septembre 1870.

« Mon cher ami,

« Rien de nouveau depuis ton départ. Les Prussiens avancent, mais lentement ; ils sont plus loin de Paris qu’on ne le disait avant-hier. On a plus de temps pour achever les préparatifs de la défense à laquelle tout le monde est disposé avec une mâle résolution et une ardeur croissante : toutes les places fortifiées grandes ou petites comme Strasbourg, Metz, Thionville, Toul, Phalsbourg, Montmédy, Verdun, ont tenu contre les bombardemens et les attaques des Prussiens. Paris, mieux fortifié et bien défendu, mis longtemps à l’abri par sa ceinture de forts