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Le 15 juillet 1870, Emile Ollivier donnait lecture, à la tribune du Corps législatif, du texte de la déclaration de guerre à la Prusse. La candidature d’un prince de Hohenzollern au trône d’Espagne, cause initiale du conflit » ayant été retirée avec l’assentiment du roi de Prusse, le gouvernement français, poussé par les ultra-bonapartistes qui désiraient la guerre, avait commis l’imprudence d’exiger du roi Guillaume des garanties contre un retour possible de cette candidature. Guillaume avait déclaré à notre ambassadeur Benedetti, qu’il voyait à Ems, ne pouvoir aller jusque là, et lui avait même fait dire de ne plus l’entretenir directement de cette affaire, de s’adresser à ses ministres à Berlin. M. de Bismarck avait annoncé au monde cette notification par un communiqué aux journaux rédigé de façon telle, — c’est ce qu’on a appelé la falsification de la dépêche d’Ems, — que le gouvernement français y avait vu une provocation, d’où la déclaration de guerre. Après la lecture de la déclaration, M. Thiers monta à la tribune et, pour éviter que la guerre ne fût engagée sur une simple note de journal, demanda que l’on communiquât à la Chambre les dépêches officielles, afin de s’assurer de la réalité de l’insulte. Il fut accueilli par un concert de violences inouïes. « Cinquante énergumènes, a-t-il dit dans l’enquête de l’Assemblée nationale, me montraient le poing, m’injuriaient, disaient que je souillais mes cheveux blancs. » Les lettres qui vont suivre sont adressées par M. Thiers à MM. Duvergier de Hauranne et Paul de Rémusat, pour les remercier de leurs félicitations relativement à son attitude pendant la séance du 15 juillet.


M. Thiers à M. Duvergier de Hauranne.


Paris, 17 juillet 1870.

« Mon cher Duvergier [1],

« J’ai été fort touché de votre lettre et je vous en remercie du fond du cœur. C’est un grand soulagement dans des circonstances aussi graves que celles où nous nous trouvons de se savoir en conformité de sentimens avec les amis de toute sa vie. Le Temps a rendu une grande justice à ma conduite dans la terrible journée du 15 juillet, et je vous avoue que je crois avoir mérité ce qu’il a dit. Depuis quarante ans que je suis dans les assemblées, je n’ai pas eu une pareille lutte à soutenir. Ceux qui ont assisté à cette scène diabolique pourront vous le dire. J’étais menacé, insulté par des fous furieux, et mon indignation de la folie criminelle que l’on commettait était si grande que ce qu’on appelait mon courage ne me coûtait pas du tout. Mon cœur était soulevé de voir les misérables qui, en 1866,

  1. M. Thiers a ajouté en haut de la page : « Lettre qui n’a pas été envoyée. »