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Cela aussi est une date, et non moins importante que l’autre.

Oui ou non, existe-t-il une morale acceptée par tous les hommes, par tous les peuples, par toutes les philosophies, par toutes les religions ? Dans tous les catéchismes, il est écrit : Tu ne tromperas point, tu observeras la parole, tu ne mentiras point, tu ne feras pas le mal pour le mal, tu ne frapperas point des innocens. Oui ou non, ces règles se sont-elles transposées dans le droit international ? Les sociétés ont-elles des principes moraux qu’elles doivent, elles aussi, observer ? C’est à ces règles particulières et publiques, pour la plupart consenties et signées par elle, que l’Allemagne s’est soustraite de parti pris. Frappée d’une folie orgueilleuse, elle se mit « au-dessus de tout, » c’est-à-dire au-dessus de l’humanité. La théorie allemande du droit de la force, de la volonté de puissance, est maintenant bien connue, clairement élucidée. Dans les écoles, on propage chez les enfans ce décalogue.

Satanique perversion des plus nobles principes ! Prétend-on forger un nouveau cœur humain où la violence et la haine tiendront la place de l’amour et de la pitié ? Déjà, il y a quelques années, les derniers survivans de « l’Allemagne sentimentale » discernaient cette dégénérescence et cette régression du sens humain : le prince de Hohenlohe, qui fut chancelier de l’Empire avant Bethmann-Hollweg, écrivait dans ses Mémoires : « La loi naturelle de la lutte pour l’existence a revêtu un caractère qui fait songer aux phénomènes du règne animal et qui fait craindre une évolution en ligne descendante. » Il jugeait d’après ce qu’il voyait autour de lui.

Et la brutalité des faits jalonne, maintenant, cette ligne descendante. L’invasion de la Belgique et des départemens du Nord de la France avant la victoire de la Marne fut une pure sauvagerie délibérée. Les soldats allemands disent eux-mêmes : « Ce que nous avons fait n’est rien à comparer avec ce qui nous fut commandé ! « Les faits d’atrocité, les 6 000 civils fusillés sans jugement, les prêtres tués, blessés ou traînés en captivité, les villages incendiés, les femmes et les enfans passés au fil de la baïonnette, le pillage en règle de toutes les provinces occupées, tout cela est pleinement avéré, indiscutable. Nous avons les noms, les preuves, les sermens [1]. Toutes les formes de la violence,

  1. Voir, notamment, ce martyrologe qu’est le Dernier Livre Gris belge : — Réponse au Livre Blanc allemand du 10 mai 1915 ; » Die völkerrechtswidrige Fïhrung des belgischen Volkskriegs. »