Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/753

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un joueur, il court après sa mise et se dépouille de tout pour gagner tout ou perdre tout.


On dirait, vraiment, que l’appareil des grandes découvertes pacifiques ne s’est si prodigieusement accru que pour servir à ces immenses massacres. La terre, la mer, l’air et le feu obéissent pour répondre au besoin qu’a l’homme de tuer vite et beaucoup. Pas un élément qui ne soit devenu un instrument de mort. Les plus vieilles armes, la pierre, le couteau, la grenade se mesurent avec les 75 et les 77 corrigeant d’eux-mêmes le recul, les canons tirant à 30 kilomètres, les mitrailleuses fauchant un bataillon, les poudres sans fumée, les gaz asphyxians, les liquides enflammés. Les moteurs mécaniques précipitent la course à la mort. Chemins de fer, automobiles, bicyclettes, toutes les machines s’alignent sur les routes multipliées. La physique, la chimie s’épuisent en inventions. Le génie humain est à bout de souffle. Il n’y a pas assez de fer, de cuivre, de charbon, de pétrole dans les entrailles de la terre. Vite, vite, il faut mourir !

En même temps, les obstacles se multiplient pour laisser à la mort le temps de rejoindre : la tranchée, le fil de fer barrent la route ; les chevaux de frise, la barricade, les levées de terre, la muraille, le béton armé s’entassent, se tendent, se hérissent sur des milliers et des milliers de kilomètres. Ces armées, qui ne respiraient que la vitesse, ne peuvent plus faire un pas. Séparées par une ligne infranchissable, la moitié du genre humain ignore l’autre moitié.

Le télégraphe, le téléphone, la télégraphie sans fil, les signaux, les fanions, les projecteurs, les réflecteurs, tout ce qui rayonne, tout ce qui vibre conjure avec la mort et veille à ce qu’elle ne s’égare pas. Les états-majors, en lisant la carte, lisent la pensée ; ils captent l’image, le chiffre, le film qui leur révèle le champ de bataille, à l’abri de la poussière du combat. La force du monde est évoquée : elle obéit à l’homme et porte au loin ses ordres de mort.

Cuirassés et sous-marins, mines et torpilles poursuivent à la surface ou au fond des océans le duel scientifique et sauvage. Aéroplanes, zeppelins, hydroplanes, chassent dans les airs, comme des oiseaux de proie. Le matériel de cette guerre est infini. Les intendances ont dénombré et mobilisé toutes les ressources de toutes les nations. On a ouvert un compte