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Plus les intervalles entre les catastrophes sont longs, plus les précautions les retardent et plus l’accumulation des élémens de destruction devient redoutable. L’histoire, comme la nature, procède à la fois par évolution et par révolution.

La guerre de 1914 apparaît, dès maintenant, comme une de ces crises dans lesquelles l’humanité, réveillée par la souffrance, aborde les douloureuses croissances et se mesure, une fois de plus, avec le problème de sa destinée.

Les grandes époques sont toujours précédées de grands bouleversemens : le christianisme perça sous les ruines de l’Empire romain ; la Renaissance fleurit sur les désastres de la guerre de Cent Ans ; le monde moderne est le fils de la Révolution.

Il suffit, pour chacun de nous, de faire un retour sur soi-même pour découvrir le mécanisme de ces brusques changemens : par ces terribles désastres, l’homme se trouve placé soudain en face du problème de la mort ; l’abîme insondable que la religion et la philosophie lui ont signalé, tout à coup, il le voit béant devant lui.

La vie n’est qu’un millième de seconde sur le cadran du temps ; c’est à peine si elle perçoit, dans un éclair, le rapport de ce qui passe à ce qui dure, de l’éphémère à l’Eternité. Il en est de même de la vie des sociétés. Elles peuvent se bercer au rêve de la durée, au rêve de la paix, à la grâce et au sourire des choses. Leur existence n’est qu’un passage : les plus heureuses sont celles qui sont le plus cruellement visées par la jalousie du Destin. La Belgique s’abrite en vain derrière sa sagesse et sa bonhomie inoffensive et souriante, la Serbie derrière sa pauvreté et son héroïsme : le vent se lève ; le roc lui-même est arraché et roule dans la tempête.

Nous sommés à une de ces heures : le cyclone est déchaîné ; sans doute ses ravages s’étendront jusqu’aux limites de la terre. Où la paix se réfugiera-t-elle ? La peur elle-même n’est plus une voie de salut. C’est un trouble universel, une agonie sans rivages. Chaque société humaine, chaque individu est entraîné dans le remous.

La grandeur de l’enjeu fait la grandeur du risque : ce n’est pas une portion de l’héritage humain qui est mise sur le tapis sanglant, c’est le trésor tout entier. L’homme n’accumula son épargne que pour la livrer à cette formidable partie : comme