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Que va devenir ce système, cette doctrine, ce style, ce « grand style, » en comparaissant devant le tribunal universel, devant le juste rigide ?

Va-t-il triompher ? L’homme contemporain se ralliera-t-il aux nouveaux préceptes, au nouvel évangile prêché par le barbare allemand ? Restaurera-t-il les autels du dieu Mars, du vieux Tuiston des bois, retombera-t-il sous le joug de la force brutale que, pendant des siècles, il s’est efforcé de soulever ? Ou bien le funeste génie allemand l’enfoncera-t-il dans le bourbier sanglant où la civilisation de la justice, de la liberté et de la paix sombrerait ?

Oui, c’est le coup de partie. Et il s’agit d’un pari plus grave que celui de Pascal, puisqu’il intéresse l’espèce entière et non pas seulement l’individu. Par le problème de cette guerre, tel qu’il est posé, l’homme va prononcer le verdict sur lui-même. Selon qu’il choisira, il persévérera dans le bien ou s’endurcira dans le mal. L’humanité tout entière verra son sort réglé pour des siècles : ou une grande servitude ou une grande libération !


III. — CARACTÉRISTIQUES PHYSIQUES, SOCIALES, MORALES, DE LA PRÉSENTE GUERRE

Ou une grande servitude, ou une grande libération !... Il fallait que le débat s’ouvrit ; puisque le problème existait au fond des âmes, il fallait qu’il se produisît au grand jour. Il fallait que la plaie fût débridée et que l’humanité s’étendit elle-même sur la table de dissection, qu’elle se soumit à l’opération redoutable, qu’elle ouvrit les viscères et mit le venin à nu, — et qu’elle délibérât.

L’histoire amasse, dans ses lointaines préparations, les matériaux des grandes catastrophes. Les générations qui se succèdent ne peuvent que gagner du temps et retarder l’événement : elles apparaissent et disparaissent, recevant du passé et léguant à l’avenir la crainte et l’espoir, — heureuses d’avoir échappé aux maux qui les menacent, mais certaines que leurs descendans n’y échapperont pas.

Les passions humaines, soumises aux lois de la nature et à la volonté divine, sont elles-mêmes la cause de ces maux terribles dont elles ont horreur, qu’elles déchaînent et qui les déchaînent inéluctablement.