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la politique étrangère de l’Allemagne soit bien dirigée (vous sentez le dard). De même que l’armée empêche que l’on ne porte à la légère le trouble dans les voies suivies par la politique continentale de l’Allemagne, de même la flotte s’oppose à toute perturbation de notre expansion mondiale... (Comme cette phrase dut être difficile à rédiger, car qui dit expansion mondiale dit perturbation !... « Tu la troubles, reprit cette bête cruelle. ») Après avoir pris rang parmi les puissances navales, nous avons paisiblement continué notre route antérieure : la nouvelle ère de politique mondiale allemande sans fond ni rive, que l’étranger pronostiquait partout, ne s’est pas ouverte... »

Elle s’est ouverte malheureusement, et il était inévitable qu’elle s’ouvrit. La digue rompue, les flots se précipitèrent. L’Allemagne, puissance de proie, était lâchée, comme un corsaire, sur cet océan sans fond ni rive où la tempête s’est, par la volonté d’hommes impuissans et orgueilleux, si affreusement déchaînée.

En tant que polémiste, Bülow signale aussi l’autre danger. Il le connaissait bien, car, comme ministre, il l’avait créé. « L’annexion définitive des provinces de Bosnie et d’Herzégovine, que l’Autriche occupait depuis 1878, provoqua une grande crise européenne. La Russie protesta contre l’acte de l’Autriche, etc. J’annonçai sans ambages dans mon discours au Reichstag que l’Allemagne était résolue à rester attachée à tout prix à l’alliance avec l’Autriche-Hongrie... »

Le « à tout prix » était décisif. L’Autriche, une fois lâchée, n’avait plus de frein. Ses ambitions devaient s’accroître avec la puissance de son alliée. Puisqu’elle disposait de l’immense force militaire et mondiale de l’Allemagne, comment n’eût-elle pas été, à son tour, enivrée ? Dès lors, la politique européenne de l’Autriche, mène tout, y compris la politique mondiale de l’Allemagne, qui, à Algésiras, avait subi le chantage de son hypocrite partenaire. On était arrivé au tournant redoutable prévu par Bismarck : « L’Allemagne commettrait une grande folie si, dans les questions d’Orient auxquelles elle n’a aucun intérêt spécial, elle voulait prendre parti avant les autres puissances directement intéressées... Nous ne devons pas nous laisser forcer la main ni par l’impatience, ni par quelque complaisance consentie aux dépens du pays, ni par un sentiment quelconque de vanité,