Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/746

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’allusion prophétique qui vient d’être rappelée, les couvre tous deux de son impériale autorité.

Dès le début de son règne, Guillaume II est en rupture avec la conception bismarckienne : en lui, s’étaient réfléchies certaines aspirations auxquelles le vieux ministre se faisait une loi de résister. Né en pleine crise d’orgueil, nature éminemment réceptive, sans nuances et sans finesse, glorieux et amoureux du « paroître, » il suivait le courant en prétendant le diriger. Il appartient à cette classe des hobereaux qui a pris la tête du flot. Son défaut est celui que Bismarck avait dénoncé : la vanité. Certes l’intelligence ne lui manque pas : peut-être eut-il, un instant, l’intuition des grands maux dont il serait responsable s’il s’abandonnait à l’esprit de conquête. Mais, l’âge venant, le regret de n’avoir pas laissé, comme ses aïeux, une trace militaire, la jalousie du futur, la pression des entourages, tout le porte sur les résolutions redoutables.

Précisément, l’homme qui devient le principal confident et conseiller de cette politique, le prince de Bülow, nous l’a révélée dans un livre de rancune et d’ambition dont on n’a pas saisi peut-être toute la portée et qui est le plus éclatant des aveux.

La doctrine de Bismarck y est franchement rejetée et reléguée dans les débarras de l’histoire. La politique nouvelle, la politique de conquête et d’expansion mondiale, y est au contraire proclamée, expliquée dans ses origines et ses développemens, avec sa pointe pénétrant dans la chair de l’Angleterre. Sous les paroles artificieuses du diplomate, on découvre, sans peine, la brutalité des appétits avec le déchaînement des ambitions et des violences.

Le ministre disgracié et exilé a voulu réclamer sa place au soleil de l’histoire. Il s’est avancé sur le devant de la scène, criant : me, me adsum qui feci. Il prétendait partager la gloire du « grand dessein, » sauf à flétrir l’insuffisance et la faiblesse de ses successeurs. Sa perspicacité en défaut ne prévoyait pas qu’à bref délai les grandes catastrophes traîneraient, d’elles-mêmes, à la lumière, les grands responsables.

Quoi qu’il en soit, nous avons le témoignage d’un des principaux artisans de la politique de proie, de l’homme qui présida, pendant douze ans, aux destinées de l’Allemagne. Bülow est le