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même à la Russie (avec la nuance, pour cette dernière Puissance, qu’on préférerait la tenir d’abord en dehors du conflit).

Quant aux petits Etats, ils sont condamnés : les traités qui les protègent sont périmés : « Une autre question se pose, celle de savoir si tous les traités conclus au commencement du siècle dernier dans des conditions très différentes de celles d’aujourd’hui, si ces traités peuvent et doivent être maintenus en vigueur. » A quoi bon chercher, dans les archives de l’État Belge, des documens pour le réquisitoire intenté après coup. Le sort de la neutralité belge était décidé bien avant que M. de Below eût mis le pied dans le cabinet de M. Davignon... Car il faut se hâter. Prenant exactement le contre-pied du conseil de Bismarck, on entend bien « prévenir les desseins de la divine Providence. » « Nous devons nous souvenir que nous ne pouvons, sous aucun prétexte, éviter la guerre à laquelle nous sommes contraints par notre situation mondiale et qu’il ne convient nullement de la retarder outre mesure, mais au contraire de la provoquer dans les conditions les plus favorables [1]. »

Les responsabilités de l’agression sont hautement réclamées. C’est en vain que les chefs actuels de l’Allemagne essayent de les rejeter. Toute l’intelligence allemande, toute la volonté allemande, les assumaient un an avant la guerre ; et elles les accepteraient peut-être encore, malgré la leçon déjà rude que leur apportent les événemens. L’universitaire allemand, le militaire allemand, le diplomate allemand, associés dans la politique de l’étatisme et du militarisme, savent ce qu’ils font. Logiques avec eux-mêmes, ils appellent l’agression injuste de leurs vœux et acceptent le duel avec ce qui est et reste l’idéal de l’humanité.

Le système se tient, dans la doctrine comme dans les faits : du germanisme au pangermanisme, du pangermanisme au militarisme, du militarisme à l’impérialisme les passages sont franchis avec une rapidité foudroyante.

Mais il reste à voir la théorie descendre et prendre corps dans le domaine des réalisations : le militaire pangermaniste Bernhardi a pour instrument l’homme d’Etat diplomate, Bülow. L’empereur Guillaume, visé certainement par Bismarck dans

  1. Toutes ces citations sont empruntées textuellement à l’ouvrage de Bernhardi, L’Allemagne et la prochaine guerre, comme à l’exposé le plus récent et le plus populaire du système.