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debout et il s’est roidi de toute la fierté dont des siècles d’abaissement avaient amassé l’épargne. L’unité politique l’a gratifié à peu de frais d’une puissance multipliée. Le voilà grand et heureux : or, il ne sait jouir de son bonheur ni pour les autres, ni pour lui-même. Il a la maladresse et les mains gourdes du berger devenu roi. N’ayant pas eu le temps, n’ayant pas pris la peine de faire l’apprentissage de sa récente autorité, il la brandit comme une massue et en menace tout le monde. En lui apparaissent les tares des parvenus : le goût de l’étalage et du faste, le manque de mesure et de tact. Le parvenu a su acquérir, il sait rarement conserver.

On ne songe pas à nier les qualités de la race allemande, sa vigueur, son endurance, son application, son esprit de suite et de méthode : mais ce sont surtout des moyens de conquête et d’acquisition. Et il faut bien aussi tenir compte de ses défauts : besoins exigeans, appétits matériels, instincts destructifs, brutalité latente sous des formes apprêtées et obséquieuses. Les circonstances ambiantes ouvrent la carrière à ces sortes de tempéramens ; le temps n’est guère enclin aux nuances de la pensée, aux délicatesses de l’intelligence et du cœur ; nous sommes au siècle de la matière : une poussée prodigieuse emporte le monde vers les jouissances immédiates, les joies de l’abondance, la grasse pitance du bien-être. Ce nouveau grand peuple a donc sa place marquée en tête de la troupe qui va fournir la course : trapu, vigoureux, le poil luisant, de quel galop joyeux, de quelles foulées puissantes il va mesurer le terrain !

L’Allemagne se rua parmi le groupe des Puissances. La brusque intrusion fut rude au reste du monde. Ainsi que le constate Maximilien Harden, « sur la terre entière l’Allemagne n’a pas un ami. » Qu’importe ! on en avait écrasé d’autres ! Là encore, le succès fut facile : on avait affaire à des peuples « arrivés, » tranquilles dans leur aisance acquise et qui se laissaient vivre. L’Allemagne hennit d’orgueil en voyant le terrain libre devant elle. Elle tendit ses muscles, ses nerfs, sa volonté, pour toucher au but qu’elle voyait si proche. Je ne crois pas qu’il y ait jamais eu une adaptation aussi prompte et aussi complète d’une nature, d’ailleurs aussi plastique, à ses nouvelles destinées.

Pourtant, de telles métamorphoses ne sont pas sans éprouver ceux mêmes qui se les imposent : une excessive tension nerveuse