Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/741

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au congrès de Westphalie, quand les plénipotentiaires de Louis XIV convoquèrent tous les princes européens à la conférence pour la paix générale, ils s’exprimèrent en ces termes : « Il est certain que la maison d’Autriche tend à la monarchie européenne en prenant pour base la puissance qu’elle exerce sur le Saint Empire germanique, centre de l’Europe. » Ces paroles expriment l’inquiétude traditionnelle des peuples européens devant l’impérialisme allemand. Transposez à Berlin ce qui est dit de Vienne, les rapports de l’Allemagne avec les autres Puissances restent les mêmes. M. Poincaré n’a pas un mot à changer à la lettre de Louis XIV.

Une seule différence : les ambitions de la maison d’Autriche étaient plus lentes et plus dissimulées, celles de la maison de Prusse sont plus brutales et plus téméraires. C’est qu’en effet, les Habsbourg rencontrèrent mille traverses ; les Hohenzollern, au contraire, sont grisés par un bonheur inouï.

S’il s’agit de découvrir les raisons actuelles de la forme aiguë du militarisme prussien, il faut absolument tenir compte de l’étonnante fortune qui, de l’abaissement de 1848, a conduit le pays au pinacle en 1870, c’est-à-dire en vingt-deux ans. En 1866 et en 1870, la Prusse a cueilli trop facilement de trop promptes victoires. De là l’orgueil monstrueux du parvenu prodigieusement enrichi, de l’esclave qui a brisé ses fers. Le développement de l’histoire prussienne est un phénomène de croissance anormale et de gigantisme déréglé. Une seule journée, Sadowa, et c’en est fait de la maison d’Autriche ; deux batailles, Metz et Sedan, et c’en est fait des armées napoléoniennes. Comment ces gens ne seraient-ils pas gonflés d’avoir fait ainsi « Charlemagne ? »

Il fallait toute la prudence de Bismarck pour ne pas pousser à bout la chance et ne pas doubler tout de suite la mise pour la rafle définitive. Bernhardi et ses émules le blâment. L’exemple qui les hante, c’est l’Empire romain, mais rafraîchi par le sang des « barbares. » Il s’agit de réussir, une bonne fois, le coup de l’invasion si longtemps manqué. Le romanisme soumis et germanisé : cette fois, ce serait véritablement « Charlemagne ! »

L’orgueil allemand est le fils grossier des victoires trop faciles. Un peuple, longtemps agenouillé devant les ridicules fantoches des Principautés germaniques, s’est trouvé, soudain,