Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/737

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déborde. Depuis les Cimbres et les Teutons, on ne connaît ses peuples que par leur volonté d’intrusion et de conquête. César, Tacite, tous les auteurs de l’antiquité, sont d’accord pour déterminer ainsi le caractère du Germain : race errante et pérégrine, mal attachée au foyer et au sol, ne s’adonnant qu’à la guerre ou à la chasse. Au cours de l’histoire, cette population mêlée et bigarrée, composée de Celtes, de Teutons, de Scandinaves et de Slaves, fait, en Europe, office de trouble-fête : inquiète et malheureuse elle-même, pour l’inquiétude et le malheur des autres.

Bernhardi, dans son livre sur l’Allemagne et la prochaine guerre, donne un exposé de l’histoire d’Allemagne au point de vue pangermaniste : rien de plus pénible que ce tableau où le parti pris actuel s’efforce de tirer une leçon héroïque des plates annales du passé : l’épopée tourne, bien involontairement, à la complainte.

D’abord la thèse : « Dès leur première apparition dans l’histoire, les peuples germaniques se sont affirmés comme un peuple civilisé de premier ordre. » Mais, aussitôt, l’aveu contradictoire : « Lorsque l’Empire romain succomba sous le choc des barbares... » Et le tableau se développe ainsi dans ce stupéfiant contraste entre les prétentions et les réalités.

En somme, cette histoire est le récit d’une invasion perpétuelle qui ne réussit jamais : les ambitions sont immenses, les résultats nuls ou précaires. La « latinité, » toujours visée, — ainsi que l’affirme encore aujourd’hui le chancelier Bethmann-Hollweg, — la latinité s’est toujours défendue victorieusement. Les Cimbres et les Teutons sont battus par Marius, Arioviste par César ; les Alamans par Clovis qui s’incline à Reims devant l’évêque Rémi ; quelques hordes de Goths et de Vandales font une pointe à travers l’Empire romain, pour laisser dans le vocabulaire de la civilisation le mot de vandalisme. Charlemagne restaure le Romanisme et dompte les Saxons. Après Charlemagne, quand l’âme de l’Europe se cherche, alors que l’Université de Paris enseigne les peuples, la Germanie s’attarde dans une sorte de byzantinisme sauvage. Je laisse parler l’apologiste de la race : « Dans la lutte des deux puissances (Rome et l’Empire), l’Empire succombe parce qu’il ne réussit pas à unir les petits États germains... La puissance allemande gisait anéantie... Puis vint un état de choses quasi anarchique. Les