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L’incident, c’est le meurtre de Serajevo. Mais lui-même n’est qu’un résultat ou, plutôt, c’est un anneau dans la chaîne des faits qui rattache la guerre de 1914 aux événemens antérieurs : la guerre des Balkans, l’annexion de la Bosnie et Herzégovine, l’expansion allemande vers l’Est. En un mot, c’est une manifestation du trouble général apporté dans l’équilibre universel par les ambitions de l’Allemagne et de l’Autriche depuis l’inauguration de la « politique mondiale » (Weltpolitik).

Il est à peu près démontré que l’empereur Guillaume et l’archiduc Ferdinand s’étaient entendus, lors de l’entrevue de Konopitz, pour remanier la carte de l’Europe. On pourrait faire remonter à cette date la déclaration de guerre. L’histoire a enregistré d’ailleurs, à ce sujet, une preuve formelle : c’est la déclaration de M. Giolitti à la Chambre des députés italiens établissant qu’en juillet et octobre 1913 les Empires germaniques avaient fait connaître à leur alliée l’Italie leur intention d’agir contre la Serbie, et lui avaient demandé de considérer cette action comme entraînant l’application du casus fœderis. L’Autriche, appuyée par l’Allemagne, prétendait donc, dès lors, « exécuter » la Serbie : c’était la guerre. Le coup de Serajevo alluma un incendie dont les matériaux étaient rassemblés : tel est l’incident.

Le permanent, c’est la situation géographique de l’Allemagne en Europe, ce sont les sentimens belliqueux des peuples germains, c’est l’esprit d’invasion qui leur est naturel, ce sont les circonstances qui ont porté ces ambitions géographiques, ethnologiques et historiques à leur maximum d’intensité : élaboration à la fois lente et précipitée qui s’est manifestée sous les deux formes du Germanisme et de l’Impérialisme.

L’Allemagne est un pays sans frontières naturelles, habité par des races diverses, qui n’a trouvé, jusqu’ici, ni sa forme, ni son centre, ni ses limites. Elle est, au milieu de l’Europe, comme une masse, longtemps molle et plastique, ayant d’autant plus besoin d’une organisation de fer qu’elle était, par essence, inorganique. L’Allemagne est, pour l’histoire européenne, la plus grosse des difficultés : cette difficulté ne serait résolue que si l’Allemagne consentait à « s’articuler, » en quelque sorte, à la vie commune. Malheureusement, une disposition si accommodante n’a jamais été la sienne. Par sa nature même, par sa formation physique et psychologique, l’Allemagne