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frappé le peuple belge tout entier représenté par les habitans de Louvain [1]. »

La thèse court jusque dans les petites écoles : « L’Allemagne, prévoyant que la guerre peut durer encore longtemps, fait une propagande effrénée parmi les enfans... On cherche à mettre dans l’esprit de ce peuple cette idée que la guerre actuelle est une guerre sainte, que les soldats allemands sont des « croises » L’Empereur est présenté comme le saint champion d’une sainte cause. Des libres penseurs notoires se sont découvert une sorte de dévotion pour le Dieu des armées [2]. »

Et on comptait enfin que la leçon rayonnerait sur les nombreux disciples habitués, au dehors, à subir l’enseignement germanique. Les neutres aiment les explications philosophiques : elles apaisent leurs consciences troublées. L’impartialité est un brevet de supériorité. Avant tout, n’est-ce pas, il faut comprendre !... Pour une équipe de « camarades » de la pensée, il était gênant qu’un peuple, dont les exemples et la culture avaient été si longtemps prônés au-dessus de tout, s’abandonnât sans vergogne à des excès aussi déplorables ; en vérité, ses violences dépassaient la mesure permise. Comment expliquer cela ? Comment concilier ces inconciliables ? « Et l’autorité de la méthode ? » et « la loi du progrès ? » et « la critique de la raison pure ? » et « l’impératif catégorique ?... » Cas embarrassant.

Ostwald a trouvé le joint : le mysticisme de l’Organisation ; tout s’explique ! Ce peuple est hors de lui-même, au-dessus de lui-même : il ne se possède plus. Les sectateurs des religions naissantes, les hashsahshins, les fanatiques de tous les pays, tels sont les modèles, et les prototypes, excusés ou magnifies par l’histoire, des incendiaires de Louvain et de Senlis des naufrageurs de la Lusitania et du Sussex. L’Empereur et les chefs qui ont ordonné les atrocités de Belgique, de Lorraine, de Pologne, de Serbie, peuvent affronter la justice humaine et la justice divine : mus par une force intérieure et supérieure, ils ont accompli leur destin.

Et c’est aux peuples qui souffrent le plus du réalisme féroce

  1. Der Weltkrieg 1914 — Achtes Bündchen — Sturm nacht in Löven. La guerre mondiale de 1914. Huitième fascicule. — Nuit orageuse à Louvain, chez Max Fischer, Dresden (id.)
  2. Voyez les citations données par Mlle G. Bianquis : La Guerre sainte, Grande Revue, juin 1915, citée dans G. Blondel, « L’Ecole allemande et sa responsabilité, p. 6.