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de vue militaire et international par une préparation intense et un système d’espionnage et d’avant-guerre qui est le véritable « secret » des Allemands, fut acceptée par eux avec une complaisance facile à comprendre. « Notre peuple est le peuple élu ! Il a une mission à remplir. Que ne le lui a-t-on rappelé plus tôt ? Dieu l’a choisi. Il est en communication avec la divine Providence. : L’arche sainte lui est confiée : « Dieu est avec nous ! »

La foi nouvelle se répandit, avec la rapidité de l’éclair, des universités aux brasseries, des brasseries aux casernes. Herr professor l’avait lancée en riant derrière sa barbe couleur d’avoine. Michel la reçut avec transport : il sentait une âme de paladin grandir en lui. Un décor moyen-âgeux ne messied pas au bock du roi Gambrinus. Sans oublier ses appétits plus réalistes (mainmise sur les richesses de l’Univers, extension indéfinie des territoires allemands, développement colonial, maîtrise de la mer, destruction des grandes maisons concurrentes, l’Angleterre, la France, la Russie) le philistin se réalisa croisé ; le casque à pointe se panacha d’une auréole. Guillaume II avait eu, d’avance, le sens de cette révélation : le vieux Dieu allemand n’était-il pas son collègue, son complice ? Le soldat allemand devient l’homme du Christ, Christ lui-même et porteur du Saint-Sacrement !... « Et alors, vous venez, vous, un petit peuple qui avez l’audace de nous arrêter, vous auxquels nous promettions paix et protection ! Et vous faites cause commune avec nos ennemis ! Mais c’est comme si vous attaquiez un prêtre porteur du Saint-Sacrement ! Nous sommes sanctifiés par la grandeur de notre destinée ; nous sommes, chacun de nous, porteurs du Saint-Sacrement, gardiens et protecteurs de la patrie, de nos femmes et de nos foyers [1]. »

Ceux qui résistent à un tel peuple, ceux qui se mettent en travers d’une telle mission sont de grands coupables. La justice divine les frappe. On dégage la leçon des événemens de Louvain et on conclut : « Jamais la faute et le châtiment ne se sont trouvés en relation plus intime qu’ici... Toute la Belgique s’est rendue coupable d’une ignominie terrible, d’un crime contre l’humanité tout entière ; aussi la juste punition a-t-elle

  1. Paroles mises dans la bouche d’un officier allemand, à propos des atrocités belges par le major Victor von Strautz : Die Eroberung Belgiens. 1914 Selbsterlebtes La conquête de la Belgique, 1914. Choses vécues. Chez Kohler, Minden in Westfalen, p. 34. (Cité par Livre Gris Belge, p. 46.)