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Guerre et Etat, voilà les nécessités et les aspirations dont il faut faire un tout, un dogme, un credo, une foi.

L’Allemagne, donc, se met à la recherche de son propre mysticisme. Le Christ, l’Empire romain, Mahomet, la Révolution française, les grandes images flottent dans ces cerveaux ténébreux : le besoin, l’instinct du pastiche est un des caractères du génie allemand ; il n’est content de lui-même que s’il a égalé ou surpassé, — autant que la copie égale ou surpasse l’original.

On chercha donc la grande idée, capable de couvrir les deux aspirations et de les grouper dans un article de foi. On chercha et l’on trouva : tel le docteur Faust, le célèbre chimiste Ostwald rencontra, au fond de ses cornues, le mythe dont on avait besoin. Il ne faisait que prendre son bien où il le trouvait, c’est-à-dire dans la philosophie et la politique allemandes, toutes deux ardentes aux réalisations pratiques et pragmatiques. Guerre et Etat, il résuma le tout dans un seul mot : Organisation.

« Je vais, maintenant, dit-il, expliquer LE GRAND SECRET DE L’ALLEMAGNE. L’Allemagne veut organiser l’Europe qui, jusqu’ici, ne l’a pas été. Nous, ou peut-être plutôt la race germanique, avons découvert le facteur de l’organisation. Les autres peuples vivent encore sous le régime de l’individualisme, alors que nous, Allemands, sommes sous celui de l’organisation. »

Voilà donc ce « secret plein d’horreur ! » La phrase d’Ostwald illumine tout, justifie tout.

Au moment où les armées allemandes, honteuses elles-mêmes de la besogne qu’on leur a commandées, crient à leurs victimes : « Nous ne sommes pas des barbares ! » au moment où l’univers pousse un cri et se lève pour demander des comptes, au moment où l’empereur Guillaume adresse au président Wilson ce télégramme du 8 septembre 1914 qui est comme le premier essai d’une justification, sinon d’une amende honorable, le chimiste intervient, et il suggère, après coup, la thèse destinée à égarer définitivement les consciences, ou plutôt à replonger l’Allemand dans le bourbier de son pharisaïsme et de son orgueil : « Non, vous n’êtes pas des barbares ! Vous êtes des croisés ! Vous apportez au monde la bonne parole de l’ « Organisation. »

Que le génie de l’ « Organisation » appartienne en propre à