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thèse soutenue dès l’année 1911, a parfaitement démêlé, dans la politique allemande du XVIIIe siècle, les origines de cette disposition où le pédantisme et le caporalisme se combinent dans la formule de l’étatisme, pour sauvegarder contre l’invasion des idées françaises le patrimoine des hobereaux et du sectarisme prussien : « Tandis que Mme de Staël voit les Allemands « beaucoup plus susceptibles de s’enflammer sur les pensées abstraites que pour les intérêts de la vie, » nous constatons, au contraire, que la raison d’Etat commande en souveraine : elle seule inspire les querelles, l’inquisition, l’intolérance. Sauver les intérêts, telle fut la volonté commune [1]. » Ventre et fumée... c’est tout le germanisme.

Pour matérialiser la fumée, pour satisfaire les appétits et les intérêts, il n’y a qu’un moyen : une politique de proie, une discipline, la conquête et l’expansion, en deux mots, la Guerre et l’Etat. La doctrine de l’Etat devient le clou de toute la pensée, de toute la philosophie allemande. Laissons encore parler notre auteur : « Une réalité s’éclaire : l’effort, la volonté de produire un Etat. La direction est nette, consciente et brutale : sauver l’Etat ou refaire l’Etat, cette « raison » première dont un Allemand du XIXe siècle pourra dire : « Notre Etat est ce que nous avons de suprême sur la terre. » A cet égard, la poussée est formidable : il n’y a plus d’idéalistes, ni de nationalistes, ni de mystiques, ni de libéraux, ni d’orthodoxes : il n’y a qu’une discipline en marche, fanatique d’elle-même et menaçante pour l’avenir [2]. »

Quant à la « guerre, » il suffit d’invoquer, comme le fait Bernhardi, la parole du maître de l’âme germaine, Luther : « En somme, il ne faut pas voir dans la pratique de la guerre comment on étrangle, comment on brûle, comment on se bat et comment on se comporte : car c’est ce que font les yeux bornés et simplistes des enfans qui ne considèrent que le chirurgien coupant une main et sciant une jambe, ne voyant pas qu’il faut le faire pour sauver le corps tout entier. De même, il suffit de regarder avec des yeux virils la fonction du glaive et son action terrible pour voir que c’est une tâche divine en soi et aussi utile et nécessaire que de manger et de boire. »

  1. René Lote, docteur ès lettres, Du Christianisme au Germanisme, 1911, p. 193.
  2. Ibid., p. 195.