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Il ne s’agit pas de revenir sur les exposés si nombreux, si probans qui ont élucidé les doctrines pangermanistes, les motifs qui déterminèrent les empires du Centre à rendre le conflit inévitable, les méthodes appliquées par eux et leurs armées dans la conduite des hostilités. Doctrines et faits sont connus : c’est uniquement pour découvrir les raisons essentielles, pour essayer de dégager les conséquences probables, qu’il est utile de préciser certains points.


I. — DU PRÉTENDU MYSTICISME DES ALLEMANDS

Il conviendrait, tout d’abord, de mettre les esprits trop dociles en garde contre une théorie venue d’Allemagne et qui tend à se propager dans le monde, à savoir que c’est une sorte de mysticisme qui aurait mis en mouvement et emporté, en quelque sorte, hors d’elles et malgré elles, les masses allemandes : d’après ce système, le soldat allemand combattrait et se sacrifierait pour la régénération de l’univers.

En vérité, ces gens ont toutes les ruses. Personne ne s’entend comme eux à envelopper de paroles graves et de propos grandiIoquens les passions ou les intérêts... Il faudra bien, un jour, percer à fond l’artifice de cette philosophie allemande qui met le monde et Dieu lui-même aux pieds du Moloch État.

Quoi qu’il en soit, l’origine pangermaniste de la thèse du « mysticisme » allemand n’est pas douteuse : elle est l’âme de l’histoire de Treitschke ; elle est disséminée aux quatre vents de l’enseignement universitaire et scolaire par la parole des professeurs ; elle gonfle le livre de Bernhardi, L’Allemagne et la prochaine guerre, publié en 1911-1913 et qui est comme le manuel de ce que doit savoir et penser un Allemand, à la veille des événemens de 1914. Cet enseignement et ces livres ont une action puissante sur le peuple allemand, parce qu’ils lui servent ce qui vient de lui : c’est le résultat d’une longue opération intérieure où tous les sentimens de la race sont cuits et recuits. Cette étrange doctrine a ce caractère singulier d’être faite non pour l’universalité des hommes, mais pour un seul peuple : elle n’a d’autre objet que de l’entraîner et l’exalter sur ses propres vertus, de façon à l’amener à un état d’auto-suggestion où il devient Dieu pour lui-même.

Un philosophe de vigoureux esprit, M. Lote, au cours d’une