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et de philanthropes discutant librement et sous leur responsabilité personnelle, mais dans une assemblée où sont officiellement représentés les gouvernemens de toutes les nations civilisées, l’existence de ce devoir international ait été proclamée et que la notion de ce devoir, désormais introduite pour toujours dans la conscience des peuples, s’impose, à l’avenir, aux actes des gouvernemens et des nations ? »

Le baron de Marshall, délégué de l’Allemagne, ayant adhéré, au nom de son gouvernement, à la plupart des décisions prises par la conférence, ne marchandait pas sa chaleureuse approbation.

La grande responsabilité qui pèse sur l’Allemagne, du fait des événemens actuels, n’est pas tant, à ce qu’il me semble, d’avoir ouvert les outres d’Éole et d’avoir déchaîné sur le monde la plus terrible tempête qu’il ait subie : c’est d’avoir ébranlé, dans la conscience universelle, la foi au mythe, au millénaire de la paix.

L’humanité, si elle eût suivi le peuple allemand dans sa formidable hérésie, eût perdu le sens même de son évolution et de sa destinée : elle fût tombée dans une sorte de manichéisme, — opposant le principe de la force à celui du droit, le principe du mal au principe du bien, — qui l’eût égarée à jamais.

Guerre insolente, s’il en fut. Faillite de tout ce que l’humanité a voulu, a cherché, a fait. Les penseurs, les philosophes, les hauts guides de la marche à l’étoile ont toujours réclamé la paix, — « la paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. » Don Quichotte, les résumant tous, dit avec sa savoureuse et profonde bonhomie : « Les armes ont pour objet et pour but la paix, c’est-à-dire le plus grand bien que les mortels puissent désirer en cette vie : cette paix juste, cette paix divine est le véritable but de la guerre. »

Or, l’Allemagne prenait l’envers de ce rêve ; elle s’inscrivait en faux contre la parole du Christ ; elle rompait avec l’idéal universel, et c’est pourquoi son initiative redoutable, réfléchie et voulue, a soudain frappé à l’âme le monde tout entier ; elle a posé des problèmes sur lesquels doit, maintenant, pour son salut, réfléchir à fond l’humanité.


Que voulait l’Allemagne ? Quel calcul, quel instinct, quelle volonté la dirigent ?