Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/727

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui implique la liberté. De même qu’il y a, au dire de Kipling, une « loi de la jungle » que tout animal respecte, il y a une « loi de l’humanité » que toute société accepte. Une société qui ne reconnaît pas sa limite dans le droit à l’existence des autres sociétés (le juste rigide) se met elle-même hors de la vie : elle s’expose à une coalition de tous qui la poursuivront jusqu’à ce qu’elle se range au devoir commun.

La civilisation a pour tâche de réaliser ces instincts, fils de la loi de justice et de la loi d’amour ; elle tend à subordonner le fait de la guerre au droit de la guerre, à entourer la guerre, dans ses origines et dans ses phases diverses, de certaines garanties et conditions par lesquelles elle deviendra de plus en plus la guerre des hommes et de moins en moins la guerre des bêtes.

Les penseurs du XVIIIe siècle, achevant une lente et lointaine élaboration des âges, ont dégagé cette conception avec une autorité et une lucidité telles qu’on put la croire acceptée sans conteste par tous : elle pénétra le sens humain comme un acquis, passé, semblait-il, à l’état de dogme. La guerre, détestée par les mères, matribus detestata, ne trouvait grâce devant l’opinion du genre humain que si elle avait, à ses origines, le droit et si, dans ses développemens, elle se soumettait au droit. On pardonne beaucoup à la violence, fille de la passion : encore faut-il qu’elle soit loyale et qu’elle garde le respect du juste, alors même qu’elle rompt avec lui.

II s’était donc fait une sorte d’accord universel au sujet du droit de la guerre, et le temps semblait venu où ce compromis tacite pourrait essayer de se codifier en une première législation acceptée par l’ensemble des sociétés civilisées.

Qu’on se souvienne des nobles paroles par lesquelles M. Odier, délégué suisse, et M. Léon Bourgeois, délégué de la France, célébraient à La Haye l’engagement mutuel pris par les Puissances de recourir, en cas de conflit, à l’intervention des neutres ou aux « bons offices » de la Cour permanente de La Haye : « En préparant cette formule, dit M. Odier, nous avons cherché à ouvrir une ère nouvelle dans les rapports internationaux : à cette ère nouvelle correspondent des devoirs nouveaux, particulièrement pour les neutres... Ils seront désormais, selon une expression heureuse, des pacigérans... » Et M. Léon Bourgeois : « Croyez-vous que ce soit peu de chose que, dans cette conférence, c’est-à-dire non pas dans une réunion de théoriciens