Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/726

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans doute après tant d’autres, nos plus lointains aïeux.

Il faut s’incliner : la guerre est dans l’héritage du genre humain. Malgré les maux qui la suivent, malgré sa cruelle sanction, — à savoir le fait de frapper les hommes à mort sans jugement, — elle est inhérente à la vie : la vie est une lutte.

Réfléchissons cependant : la guerre des hommes n’est pas la guerre des bêtes ; et l’humanité le sait. Dans la haute et instinctive conception de sa propre destinée qui la distingue des autres espèces, elle tend son intelligence et sa volonté pour affirmer cette différence.

Car, pour elle, c’est le coup de partie : si l’odeur du sang doit la faire retomber dans la bestialité, elle perd ; l’effort admirable accompli par elle, de siècle en siècle, pour s’élever au-dessus des autres animaux est vain ; elle n’a plus qu’à renoncer à l’idéal qui est l’aspiration suprême de toute société humaine et qui se rattache à la plus profonde des lois naturelles et divines : la justice.

Montesquieu dit : « Le droit de la guerre dérive de la nécessité et du juste rigide. » Tout est dans ces deux mots : le droit de la guerre, — le juste rigide.

La guerre, en tant que fait, est une crise d’animalité : elle n’appartient au riche trésor de la civilisation humaine que si elle rentre dans le cycle du droit. Le problème consiste donc à amener de plus en plus l’humanité à n’admettre et à ne concevoir la guerre que comme née du droit et soumise au droit. La guerre n’est digne du nom de guerre que si elle est légitime. C’est parce qu’il voit la chose ainsi que Proudhon reconnaît dans la guerre un acte de la vie morale : « La guerre, de même que la religion et la justice, est, dans l’humanité, un phénomène plutôt interne qu’externe, un fait de la vie morale bien plus que de la vie physique et passionnelle. »

Je voudrais que l’on réfléchit profondément sur ce principe de toute vie sociale : respecter, dans les limites du juste, la vie des autres. L’individu isolé est en proie à la violence : pour mieux se défendre et sans doute pour mieux aimer, il se groupe sous une règle et il introduit dans ses relations avec les autres le juste ; l’équilibre des sociétés tient à l’acceptation mutuelle de ce principe. L’origine du droit est le consentement des parties,