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de l’Allemagne. Nous savons qu’elle n’a plus sur le front russe qu’un paravent et dans les Balkans qu’un rideau ; que si, sur notre front, dans quelques secteurs, elle a encore des lignes très garnies, bourrées d’hommes, et de vastes dépôts en Belgique, néanmoins, à l’arrière, pour en combler les vides, à mesure que le feu les dévore, elle n’a plus que de maigres fonds de tiroir. Tant de divisions sur le front russe, tant sur le front serbe, tant sur le front belge, britannique, français, tant au repos derrière le front occidental, nous savons combien. Celles qu’elle nous envoie, nous savons d’où elle les retire, qu’elle ne les ajoute pas, mais seulement les transporte, qu’elle ne les remplace pas, mais seulement les déplace, et que, comme autrefois la petite armée de Frédéric sur les routes, ses bataillons d’élite sont sur les chemins de fer, du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, en un transit perpétuel. Mais nous savons que ces voyages ininterrompus se paient par une déperdition considérable, et que de cette chair à canon ballottée sans merci il n’arrive que le squelette. Les unités dont l’Allemagne peut disposer encore, nous en savons la qualité comme la quantité. Nous savons que, parmi les corps qui sont sur le front russe, il y a beaucoup de landwehr ; que les rares, très rares divisions maintenues sur le front serbe sont mauvaises ; que, sur le front français, tout ce que les Allemands peuvent avoir encore de monde un peu frais passe tour à tour à Verdun, qu’ils ne peuvent plus prendre, — et nous savons qu’il le savent, — pour en revenir, décimé, éreinté, désespéré, et y retourner sans aucun répit. Par les prisonniers que nous faisons, par les morts que nous relevons, nous savons que beaucoup de leurs soldats, dans beaucoup de leurs régimens, sont aujourd’hui des chétifs, des malingres, parfois même des mutilés. La témérité de leur jeu ne nous en impose pas ; nous y voyons justement ce qu’ils voudraient cacher, un symptôme de plus de leur épuisement. Nous savons que l’Allemagne chancelle, qu’elle souffre, et même beaucoup plus que nous ne le croyons : quand sa misère n’était pas vraie, elle la criait ; elle est vraie, maintenant qu’elle la nie. Nous savons que l’Empire militaire est comme le boxeur exténué qui, ne pouvant plus frapper, ne pouvant plus même parer, et sentant qu’au premier choc il s’écroulera, s’accroche en corps à corps aux bras de l’adversaire pour tâcher de gagner debout le coup de cloche final. Les assauts obstinés, multipliés contre Verdun, la récente offensive autrichienne contre le Trentin, le semblant de réveil allemand sur la Dwina ne contredisent ni n’infirment ces observations et ces conclusions. Dans toute cette guerre, la stratégie de l’Allemagne a été enchaînée à sa