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encore celle du 8 mai, arrivée le 10 à Berlin, et fermant la porte à la folle espérance de voir, par un renversement soudain des positions, qu’aurait savamment machiné l’astuce de la Wilhelmstrasse, l’Amérique conduite à un conflit armé avec la Grande-Bretagne. Dans cette note complémentaire, M. Lansing rappelait qu’il existe entre l’Angleterre, la France, presque tous leurs Alliés, une vingtaine de Puissances, sauf l’Allemagne, d’une part, et les États-Unis de l’autre, un traité général d’arbitrage, aux termes duquel, s’il vient à surgir quelque différend, le litige doit être aussitôt déféré à un jury, composé d’un membre appartenant à chaque nation et présidé par un neutre ; même si le désaccord ne peut être aplani, et si, pour le trancher, la guerre devient inévitable, les hautes parties s’obligent à ne recourir aux armes que lorsqu’il se sera écoulé un délai de toute une année. Que reste-t-il de cet avertissement ? Que l’Angleterre a, dans un tel engagement, une garantie que l’Empire allemand n’a pas, si d’ailleurs elle n’était parfaitement superflue, les États-Unis étant parfaitement décidés à ne jamais traiter de même, comme actes équivalens, le blocus et l’assassinat. Pour prolonger l’illusion allemande, on se dit vainqueur du Président des États-Unis comme de la Quadruple-Entente ; n’est-ce pas l’avoir battu que de l’avoir empêché de rompre sur l’heure ? Pour endormir l’indignation américaine, on pince, en M. Wilson, la corde sensible : « Le Président est le défenseur naturel et le champion de tous les neutres. C’est à lui qu’il appartient de protéger l’Europe contre elle-même. » En l’amusant de la sorte, on gagne du temps, on se donne de l’air, on se ménage des occasions. Et qui sait ? cette proposition, incidente et comme innocente, que l’Allemagne a négligemment jetée dans sa réponse du 8 mai, et où elle déclare que par deux fois elle a, vainement magnanime, ouvert des perspectives de paix, qui sait si elle sera perdue ? M. Woodrow Wilson, flatté, séduit, la ramassera peut-être : mais le moins qu’elle puisse faire, c’est de paralyser aux États-Unis mêmes les interventionnistes, de dérouter et de retenir les neutres, de détendre l’énergie des ennemis, de calmer les angoisses et de bercer les souffrances du peuple allemand. Le gouvernement impérial l’assure, la presse allemande le répand, l’Allemagne le voit, c’est un succès : « Nous avons obtenu ce que nous voulions, sans compter ce que nous obtiendrons encore. » Mais de mauvaises langues racontent que, dans une dispute, un homme, furieux, en agaçait, harcelait, bousculait un autre : « Donne-moi un soufflet ! Mais donne-le-moi donc ! » « Voilà ! » fit tout à coup l’adversaire, à bout de patience. Et l’homme, soudain