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que l’océan aérien sème sous son envol. — Quant aux divers stabilisateurs, par lesquels on a voulu réaliser automatiquement ce redressement continuel de l’avion, il n’en est point encore de parfaits et qui dispensent l’aviateur d’avoir bien en main son oiseau.


Avion, aéroplane, aviation, aviateurs, gauchissement, tous ces mots que j’ai dû employer dans ce bref rappel de la constitution anatomique de nos modernes machines volantes, on les chercherait vainement, non point seulement dans les auteurs classiques, mais même dans les bréviaires modernes les plus complets de la langue française, dans Littré par exemple. C’est que, si verba volant, les choses volent plus vite encore que les mots et que les pensées même dont ils sont le balbutiant écho.

On s’est élevé naguère avec raison contre l’antagonisme factice que certains ont voulu créer entre les lettres et les sciences, entre les humanités et l’étude phénoménale de la nature. Peu avant la guerre, cette question fit couler beaucoup d’encre très docte, et chacun fut d’accord pour convenir que ces deux formes du perfectionnement humain étaient faites pour se compléter et marcher fraternellement unies, la main dans la main, fortifiées l’une par l’autre. Pourtant, en y réfléchissant, il me semble qu’à un petit point de vue au moins, les zélateurs d’une religion littéraire exclusive de toute hérésie scientifique auraient eu quelque raison de justifier leur attitude : n’est-ce pas la science en effet qui, par toutes les choses nouvelles qu’elle invente, par les phénomènes imprévus qu’elle découvre, inflige à la langue tous ces néologismes qui, comme ceux que nous venons de citer, en changent la physionomie et l’usage ? N’est-ce pas elle qui, dans une certaine mesure, contribue le plus à archaïser la belle langue fixée par les classiques, à en périmer la valeur et la vitalité ? A moins qu’on ne considère, au contraire, qu’une langue est d’autant plus admirable qu’elle est plus vivante, comme l’eau qui est plus belle lorsqu’elle coule ; et alors, en accélérant l’évolution du parler, en y provoquant les changemens qui, là comme ailleurs, sont ce qui caractérise la vie, la science serait, au contraire, le viatique le plus précieux de la langue. J’avoue qu’entre ces deux points de vue je ne sais quel est le bon... Peut-être est-ce un troisième.


CHARLES NORDMANN.