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s’abaisser, se diriger à son gré, suivant les trois dimensions de l’espace.

Mais ce qu’on ne peut imaginer lorsqu’on ne les a point partagées ce sont les impressions exquises que procure une croisière aérienne faite à toute la vitesse d’un rapide avion de chasse. A celui qui ne les a pas éprouvées, il manque quelque chose d’aigu et d’inimaginable dans la gamme des sensations permises à l’homme moderne.

C’est d’abord le départ, la rapide montée du passager dans le capot le long de la coque brillante et légère, où on s’encastre dans un siège étroit, devant le pilote, escalade qui me rappelle je ne sais pourquoi celle des antiques et périlleuses impériales des petits omnibus d’il y a vingt-cinq ans. Ainsi parfois s’établissent des analogies imprévues entre les choses les plus extrêmement différentes. Puis l’hélice est mise en marche et vous martèle les tympans de son impérieux bourdonnement, si brutal et si fort qu’il rend muet tout ce qui n’est pas lui, vous enveloppe d’un écran sonore imperméable aux autres bruits, si bien que vous ne pourrez pas échanger dans le vol un seul mot avec votre compagnon qui est là à 50 centimètres derrière vous, et que seuls des gestes ou le secours d’un papier hâtivement griffonné laisseront votre pensée communiquer avec la sienne. — Vent debout, — car il faut le plus vite possible « décoller, » et plus le vent relatif est fort, plus le soulèvement de l’avion est rapide, l’oiseau aux ailes géométriques s’est mis à rouler sur le sol d’une allure légère et souple.

« Même quand l’avion roule, on sent qu’il a des ailes, » puis c’est l’envol, sans à-coup, sans brutalité, sensible seulement à ce que soudain toutes les vibrations, tous les petits cahots qui vous donnaient un peu la sensation d’être en automobile, ont cessé, comme fondus tout à coup dans une sorte de glissade fluide et douce. Puis ce sont les sensations indicibles de la montée rapide en spirale, de l’espace qui défile si vite qu’on croirait n’en pas faire partie plus que de toutes ces maisons, de tous ces arbres, de ces routes, de ces petits bipèdes qu’on voit là-dessous, collés au sol par cette chose, la pesanteur, qu’on vient de jeter par-dessus bord. Mais tout cela a été décrit et chanté mille fois déjà par les poètes et même les prosateurs, qui ce jour-là se sentent tous poètes. Aucune description, aucune richesse verbale qui ne soit mesquine et inadéquate à la subtile douceur de toutes les sensations qu’on éprouve alors et qu’on déformerait à les vouloir trop précisément formuler !

Nous avons vu quel est le mécanisme du vol ascendant, du vol descendant, des changemens de direction et des virages. Il est une forme de vol que nous voulons expliquer d’un mot, c’est le vol plané qui sert