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Rien à mon sens ne montre mieux l’infirmité du pauvre cerveau humain, que son incapacité de concevoir, même lorsqu’il ouvre toutes écluses à l’imagination, des choses qui ne se trouvent quelque jour pauvres et puériles à côté de ce que la réalité enferme dans son flanc insondable. D’un autre côté rien ne montre mieux la puissante grandeur de ce cerveau que son pouvoir de réaliser toujours plus qu’il n’avait rêvé… Ainsi, selon l’angle visuel et selon l’humeur du moment, on peut humilier ou glorifier le bipède humain ! C’est un double soin dont les moralistes se sont à l’envi très prolixement acquittés depuis toujours. Aussi bien s’agit-il ici de physique et non de morale.


À propos de l’étourdissante progression de la navigation aérienne, on a écrit maintes fois qu’elle avait pris la science au dépourvu, qu’elle n’était que le fruit de l’empirisme et que les savans n’étaient arrivés à la rescousse avec leurs x qu’après la bataille, comme les carabiniers d’Offenbach. Rien n’est plus faux. La théorie complète de l’aéroplane a été mise sur pied par les Cayley, les Penaud, les Chanute, les Langley, les Ader, — noms dignes de plus de célébrité qu’ils n’en possèdent, — bien avant la réalisation qui ne dépendait que d’un progrès pratique lié lui-même à de hautes questions de théorie : le moteur léger.

Uniquement sportive avant la guerre, c’est-à-dire sans application pratique réalisée, l’aviation a pris, au cours de celle-ci, une importance sans cesse grandissante, dont nous expliquerons les causes et les effets. L’avion s’est révélé comme un engin de guerre sans égal par la multiplicité des rôles militaires qu’on peut lui assigner, et les changemens qu’il a introduits dans les anciens modes de combat. Enfin de tous les moyens de locomotion connus, traction animale, traction mécanique, terrestre, aérienne, ou marine, il se trouve être le seul qui ait été jusqu’ici utilisé uniquement dans l’art de la guerre.

Le moment nous paraît donc venu d’examiner en y mettant toute la concision compatible avec une nécessaire clarté les questions suivantes : Qu’est-ce qu’un avion ? Pourquoi et comment fonctionne-t-il ? Quelles sont en conséquence les diverses modalités réalisables et déjà réalisées de son emploi à la guerre.

J’aborderai d’abord la première de ces questions. Mais, au lieu de commencer par l’étude scientifique du problème, par l’étude de cette science de l’aérodynamique à laquelle la France a contribué, comme nous verrons, par de si beaux travaux, je crois préférable d’entrer